lui avons pas donné la nôtre et nous lui avons enlevé ce qui lui restait de la sienne en le compromettant auprès de ses sujets. S’il avait été un autre homme, s’il avait eu de l’intelligence, de la volonté, du caractère, sans doute il aurait pu jouer son jeu dans des conditions qui nous auraient permis de nous y intéresser : — encore aurait-il fallu le faire discrètement. Mais n’étions-nous pas fixés sur sa valeur ? Ne savions-nous pas ce qu’il fallait penser de lui, et le peu qu’il était permis d’en espérer ? Alors, pourquoi n’avoir pas attendu que les deux frères aient vidé leur querelle, en se bornant à exiger qu’ils le fissent en dehors des ports ? Au lieu de cela, nous avons attiré Abd-el-Aziz à Rabat, et les conséquences de cette première faute n’ont pas tardé à se dérouler. Moulaï-Hafid, à son tour, a voulu aller du côté de la mer, et nous l’en avons empêché par notre expédition dans la Chaouïa. Il n’y a pas à critiquer cette expédition en elle-même : nous l’avions rendue nécessaire et elle a d’ailleurs été bien conduite. Mais puisque nous lui avions fermé le chemin de la mer, Moulaï-Hafid a dû se tourner d’un autre côté, et nous voyons où cela l’a conduit. Il est entré à Mequinez et il entrera à Fez quand il voudra : rien ne pourrait l’en empêcher, si ce n’est un miracle. Cet homme qu’on nous représentait comme réduit à la dernière extrémité et qui, hier encore, si on en avait cru des dépêches complaisantes, cherchait pour son abandon un refuge dans quelque couvent, est aujourd’hui maître de Mequinez et de Fez, c’est-à-dire du cœur du Maroc, et s’il ne l’est pas du Maroc lui-même, c’est parce que personne ne l’a été et ne le sera encore de longtemps. Mais il représente la plus grande force qui y existe actuellement, et si nous ne sommes pas encore obligés de reconnaître cette force, nous ne pouvons plus la regarder comme inexistante et affecter de l’ignorer.
Quant à l’infortuné Abd-el-Aziz, que devient-il ? Nous nous permettions, il y a quelques semaines, de parler avec ironie de sa mehalla qui était toujours à la veille de partir de Rabat pour Fez, et qui ne partait jamais. Elle l’a fait cependant, avec la lenteur calculée de toutes les mehallas marocaines, lenteur qui est la plus grande qu’on eût encore vue à la guerre. Au bout de plusieurs jours, la mehalla d’Abd-el-Aziz était encore à quelques portées de fusil de Rabat. Peut-être avait-elle raison de ne pas se presser. D’après les dernières nouvelles, elle s’est embourbée dans des marais, et elle est entourée de tribus hostiles qui la menacent de lui faire un mauvais parti. Moulaï-Hafid la somme à son tour de se rallier à sa cause, faute de quoi, il