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La lettre suivante nous fait entrevoir les progrès de la France dans l’Est, sous le régime de « la paix rongeante et envahissante. » Charles-Louis vient de parler à sa sœur d’une affaire de famille pour laquelle il compte sur « la générosité et l’équité » de son beau-frère Ernest-Auguste. « Je voudrais, poursuit-il, en pouvoir attendre autant de mon grand tuteur[1], qui le veut être et le sera de toute la chrétienté, si l’on n’y met ordre de bonne heure, à quoi je vois peu d’apparence sans quelque changement imprévu ; au moins je tâcherai à faire mon devoir tant que mon peu de pouvoir me (le) permettra, et faudra laisser le reste au destin, dont mes années et ma constitution ne (me) permettront pas de participer longtemps, qu’il soit bon ou mauvais, et… je serai des premiers mangé, étant situé entre le marteau et l’enclume[2]… » De la duchesse Sophie : « (27 mai 1680). Je suis si vivement touchée de l’indigne traitement qu’on vous fait, que je ne sais comment Liselotte peut regarder son idole de bon œil. »

L’« idole » de Liselotte, c’était le Roi, et sa tante ne partageait plus son admiration pour ce prince. La duchesse avait cessé tout d’un coup de l’aimer. Elle l’appelait à présent « le grand Dogue, « niait résolument sa grandeur, et s’excusait de son enthousiasme d’antan : « Il est heureux et paie de paroles et de mine, mais au reste, c’est un homme tout comme un autre ; ce n’est que dans des vers qu’il passe pour un dieu (5 juillet 1680). » Peut-être entrait-il du dépit maternel dans cette aigreur ; le grand Dauphin épousait décidément la princesse de Bavière.

Liselotte avait prévenu sa tante, dès le 28 octobre 1679, qu’elle avait fait un voyagé inutile et que sa fille ne serait pas reine de France : « Personne ne doute qu’au printemps prochain, nous n’ayons ici la princesse de Bavière, car le Roi en parle souvent, et il disait encore l’autre jour : — Si elle a de l’esprit, je la taquinerai tout de suite sur sa laideur… Il a demandé à M. le Dauphin s’il pourrait se résoudre à prendre une femme laide. Celui-ci a répondu que cela lui était parfaitement égal ; que, pourvu que sa femme eût de l’esprit et de la vertu, il en serait content, quelle que fût sa laideur. C’est ce qui a décidé le Roi pour la Bavière. » Madame ignorait évidemment le traité de 1670.

Elle ne savait jamais rien, et elle le prouva une fois de plus

  1. Louis XIV.
  2. Du 20 mai 1680.