Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rire ! J’ai été plus de deux mois mortellement triste, mais ensuite, je suis forcée d’avouer que je n’ai pu m’empêcher de rire… » Elle riait, mais elle restait désemparée, très surexcitée, très troublée dans le fond de son âme. La fin soudaine de son père, la maladresse du « gros Allemand, » n’avaient été que l’occasion d’une crise qui couvait depuis longtemps. À l’origine du mal était Louis XIV ; non pas le Louis XIV des Chambres de réunion et des contributions de guerre ; celui-là, encore une fois, avait peu préoccupé sa jeunesse insouciante ; mais le Louis XIV familier que si peu de gens ont connu, le fidèle camarade de ces longues chevauchées dans les grands bois qui inquiétaient Charles-Louis, homme porté au soupçon,

Mme de Sévigné s’est trouvée par hasard très bien placée pour commettre des indiscrétions sur les sentimens secrets de Madame. C’est à elle que nous nous adresserons d’abord.


II

Madame avait trouvé en France une sœur de sa mère, la princesse Amélie de Hesse-Cassel, mariée en 1648 à Henry-Charles de la Trémoille, « dit le prince de Tarente[1], » grand seigneur huguenot, et au service de Hollande. Il finit par revenir en France, et la princesse sa femme y resta après son veuvage, survenu en 1672. Elle habitait Vitré, d’où elle voisinait avec Mme de Sévigné, quand celle-ci était aux Rochers. C’est « la bonne Tarente » des lettres, l’Allemande sentimentale aux amours innombrables, dont le cœur s’obstinait à ne pas vieillir, en dépit des années et des avertissemens de son miroir : « Elle a le cœur comme de cire, » rapportait Mme de Sévigné, qui lui faisait doucement de la morale. Mais « la bonne Tarente » répondait qu’elle avait « le cœur ridicule, » façon de dire qu’elle n’y pouvait rien, et il n’en était ni plus ni moins[2].

Elle avait plu à Madame, qui lui passait ses faiblesses, sans doute parce qu’elle était Allemande et que tout est pur aux purs. Madame regrettait même de ne pouvoir se l’attacher. Faute de mieux, elle lui écrivait « avec beaucoup de familiarité et de tendresse[3] » de grandes lettres que Mme de Sévigné se

  1. Saint-Simon, Écrits inédits, p. 205.
  2. De Mme de Sévigné, le 11 décembre 1675.
  3. De Mme de Sévigné, le 23 octobre 1675.