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l’Empereur et finalement au Pape, pris pour arbitre. On batailla ainsi près de vingt ans.

La succession de Charles-Louis s’était compliquée de celle de Charlotte de Hesse, sa femme légitime et la mère de Madame. Cette pauvre agitée avait enfin trouvé le repos dans la mort, le 16 mars 1686. « Son humeur, écrivait la duchesse Sophie à Carl-Lutz, ne l’a point quittée jusque dans le tombeau. Elle a ordonné tout l’ajustement qu’on lui devrait mettre après sa mort. Ce sera la seule fois qu’on l’habillera sans qu’elle gronde ou batte ses gens[1]. » La duchesse écrivait d’autre part à la raugrave Louise, et les deux lettres disaient également la vérité : « Je suis sûre que vous’ la regretterez, car elle a toujours été bonne pour vous tous. L’âme et le corps ne s’accordaient pas ; le bien que voulait l’une, l’autre le gâtait, faute à Sa Dilection de pouvoir se maîtriser[2]. » Charlotte avait en effet été très bonne pour eux dans leur malheur, mais elle était neurasthénique ; elle avait trop souffert, de toutes les façons.

Il existe sur elle un document pathétique ; c’est l’inventaire[3], après décès, de son mobilier et de ses nippes. Tandis que les « vieilles chaises fort rompues, » le « lustre de cristal à douze bras dont deux sont cassés, » les « vingt-quatre vieilles chemises de femme » et le « tapis de velours vert gâté » disent la vie étroite et la gêne piteuse de cette princesse dont personne ne voulait[4], sa misère morale est, pour ainsi parler, déballée sous nos yeux avec le contenu de deux « grands coffres » découverts dans son grenier. L’Electrice Charlotte les avait emportés de Heidelberg lorsque Charles-Louis l’avait contrainte à quitter la place à Louise de Degenfeld. Il y avait de cela vingt-trois ans, et jamais personne ne les avait ouverts. On en sortit les layettes de Liselotte et de son frère : leurs langes, leurs petits bonnets et petites camisoles, une belle toilette de baptême, deux pelisses, l’une en satin bleu, l’autre en satin jaune, des ceintures, des écharpes, des toques en velours ou en satin. Il y avait aussi les premiers pourpoints du prince Charles, et une « robe de fille de six à sept ans, » en moire couleur cerise, qui devait être, d’après l’âge, la belle robe de Liselotte au moment où elle fut

  1. Du 12 avril 1686.
  2. Du 22 mars 1686, à la raugrave Louise.
  3. A. N., K. 552, n° 1.
  4. Son fils, le prince Charles, était venu à son secours dès qu’il eut le pouvoir ; mais il mourut avant elle.