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celui-là, » entendait-il un soir, dans l’obscurité, un de ses étudians dire à la sortie de son cours, et ce compliment, dont il ne pouvait mettre en doute la sincérité, lui était, en quelque sorte, une révélation sur lui-même, en même temps qu’elle suscitait dans son cœur une ambition nouvelle, qui devait plus tard devenir un tourment. Mais il put, pour l’instant, croire ses vœux comblés lorsqu’il reçut une lettre qui lui offrait de venir dans la capitale rédiger le Premier Paris du Journal des Débats. Avant de répondre, il voulut, pour se donner le temps de la réflexion, faire trois fois le tour de son petit jardin. Il n’avait pas fini le premier qu’il était déjà décidé.

Prevost-Paradol débutait ainsi, à vingt-sept ans, sur la grande scène. Il y eut alors dans sa vie quelques années brillantes et, en apparence, heureuses. Ceux qui ont été tant soit peu mêlés à l’ardente bataille politique des dernières années de l’Empire se souviennent encore de la place qu’y a tenue Prevost-Paradol. Dans un temps où la liberté de la presse n’existait pas, — ce dont le talent des journalistes ne se trouvait pas plus mal, — un article de lui était un événement. Que cet article eût paru dans les Débats, ou plus tard dans le Courrier du Dimanche, on ne le lisait pas seulement ; on en parlait ; on se le passait de main en main, et qui ne l’avait pas lu la veille le lisait le lendemain, surtout si l’article avait été l’objet d’un avertissement. On peut même, en toute justice, se demander si, de l’étroite surveillance exercée alors sur la presse, Prevost-Paradol n’est pas un de ceux qui ont eu le plus à se louer, et si son talent, fait de sobriété, d’esprit, de malice, d’ironie, de cette ironie qu’il appelait « le dernier asile, la dernière dignité du faible et de l’opprimé, l’indomptable et insaisissable ironie qui dissout peu à peu les dominations les plus superbes, « serait apprécié aujourd’hui autant qu’il l’était alors.

Des travaux plus durables établissaient cependant sa réputation, entre autres son livre sur les Moralistes français, qui contient peut-être quelques-unes des plus belles pages de prose française qui aient été écrites au XIXe siècle, et son ouvrage sur la France nouvelle où presque tous les problèmes qui nous agitent à l’heure actuelle sont prévus et discutés avec une grande hauteur de vues, et auxquels il propose toujours la solution la plus libérale et la plus patriotique. Le succès de ses œuvres assurait son indépendance, et il devait à sa plume de ne plus connaître