et ne trouve son point d’appui qu’en Dieu, » il démontre la fragilité des systèmes que différens philosophes ont essayé de lui substituer et qui, suivant lui, n’aboutissent, comme disait Guyau, qu’à une morale « sans obligation ni sanction ; » article demeuré célèbre, qui fit tapage en son temps, auquel il n’a jamais été que faiblement répondu, et dont la lecture inspire le regret qu’il n’ait pas vécu assez longtemps pour passer au même crible la morale que certains esprits généreux s’ingénient à tirer de la solidarité. Il semble, au reste, qu’il ait prévu cette tentative, car, dans un autre article, après avoir montré tout ce qu’il y a de factice dans la conception de cette entité abstraite : l’humanité, et déclaré qu’à ses yeux elle apparaît souvent « comme une guenon, » il ajoute : « Je décline la solidarité. »
C’est que Scherer n’est jamais dupe des mots, de ce qu’il appelle assez rudement les clichés, et qu’il soulève d’une main hardie les voiles sous lesquels s’abrite plus d’une illusion. Il croit à un certain progrès général, mais il ne se dissimule pas à quel prix onéreux le progrès est souvent acheté, ni que tel pas en avant ne soit parfois compensé, sur un autre point, par un recul. Parlant de l’évolution, ce mot qui, si souvent, revient sous la plume d’écrivains qui l’emploient sans savoir ce qu’il veut dire, il montre que l’évolution n’est pas toujours une ascension et qu’elle peut conduire également à la décadence. S’il n’est pas supérieur à Sainte-Beuve pour la liberté de l’esprit, il est, sous ce rapport, au moins son égal, et il pousse encore plus loin l’absence de respect pour les idoles, car il pense par lui-même et s’inquiète peu des opinions régnantes. Il juge Flaubert, et, s’il admire Madame Bovary, il fait peu de cas de l’Education sentimentale ; il est assez dédaigneux de Théophile Gautier, dur à propos de Baudelaire, impitoyable contre Zola. D’accord avec Sainte-Beuve qui qualifiait de « manques, malgré de jolies parties, et somme toute détestables » les romans de Stendhal, il parle avec irrévérence de l’auteur de la Chartreuse de Parme. Il n’a pas moins de sagacité que Sainte-Beuve pour discerner le mérite des œuvres nouvelles et deviner les jeunes talens. Dominique paraît encore en livraisons dans la Revue des Deux Mondes que, déjà, il signale à l’attention publique ce chef-d’œuvre du roman psychologique, tout en prédisant, et l’avenir lui a donné raison, que cette œuvre exquise et unique n’atteindra jamais un succès proportionné à son mérite. Lorsque