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REVUE LITTÉRAIRE

LE POÈTE DE LA VIE FAMILIÈRE :
FRANÇOIS COPPÉE

On ne pouvait faire autrement que de l’aimer ; et la raison en est toute simple : c’est que nous le sentions si près de nous ! Les grands Inspirés, ceux que, d’un puissant coup d’aile, leur génie entraine vers les sommets, nous éprouvons pour eux une admiration où il entre de l’étonnement avec un peu de crainte. Ils habitent à des hauteurs pour lesquelles nous ne sommes pas faits, ils ont connu des tourmens où notre poitrine trop faible se fût brisée et contemplé des splendeurs où notre regard se fût troublé. Ils sont d’une autre race et nous les devinons très différens. Celui-ci fut l’un de nous. Sa vie s’est déroulée dans le même cadre que la nôtre, à travers des circonstances, heureuses ou tristes, mais dont pas une ne fut extraordinaire. Il a eu sous les yeux les spectacles qui nous sont familiers, il en a dégagé une poésie : cela nous touche infiniment. C’est la preuve d’abord que, pour pénétrer dans le monde des émotions poétiques, il n’est pas indispensable d’être placé dans des conditions exceptionnelles et d’être pétri d’un limon surhumain. Une poésie réside dans les choses coutumières et se découvre à ceux qui savent se pencher sur elles avec sympathie. De cette poésie-là, qui est à notre mesure, rien ne nous dépasse et rien ne nous échappe ; nous en comprenons toutes les nuancés, nous la goûtons jusque dans son essence, nous en jouissons entièrement. Ce fut le mérite de Coppée de ne pas se guinder à des attitudes de commande, de ne pas se hausser aux thèmes consacrés, de ne pas prétendre au-delà de l’horizon qui était le sien. Et ce fut son originalité.

La poésie lyrique du XIXe siècle, depuis cinquante ans qu’elle avait découvert la Nature, ne se lassait pas de s’enivrer d’elle : les campagnes et les montagnes, les fleuves et les océans étaient mis à contribution ;