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ait à refaire sa vie. Cette femme, séparée d’un mari brutal, subit son étrange veuvage sans arrière-pensée. Ah ! ceux-là ignorent le droit au bonheur. S’ils souffrent, leurs douleurs sont muettes. Par là ils nous font honte à nous autres que révolte un caprice non satisfait. Et ils nous suggèrent la vision de cette implacable destinée qui, depuis le temps des anciens, a bien pu changer de nom, mais qui n’a pas cessé de peser sur les pauvres hommes.

Ajoutez maintenant les mérites de l’exécution. L’habileté technique, grâce à laquelle le poète peut hasarder ce vers qui côtoie la prose sans y tomber sinon lorsque son ironie veut s’y amuser. — L’art du récit. Coppée possède essentiellement le tour d’esprit du conteur. Il a écrit des récits épiques qui ne valent ni par le souffle, ni par l’originalité de la pensée ou la puissance de l’évocation, mais qui se font lire parce qu’ils portent en eux la vertu propre à une narration bien conduite. Il a donné d’innombrables contes en prose parmi lesquels il en est d’émouvans, d’attendrissans et de gracieux. Chacune des pièces de Coppée est un raccourci de drame, où tous les traits essentiels sont réunis, où l’émotion va sans cesse en grandissant. Faut-il rappeler tant de morceaux populaires, depuis la Grève des Forgerons et la Lettre d’un mobile breton jusqu’à la Marchande de journaux et à l’Enfant de la balle ? — Le pittoresque du décor. C’est le wagon puant qui emmène la nourrice, la boutique du petit épicier, le café-concert où le « fils » a trouvé une place de musicien, la maison du faubourg, près des champs, où se sont retirés les petits bourgeois. Pauvres décors ! direz-vous. Mais il est une sorte de pittoresque qui vaut par la précision et la minutie du détail. Coppée y excelle.

Il en arrivera à poursuivre uniquement ces effets de pittoresque. Il composera de menus chefs-d’œuvre avec de simples croquis, des « études » de peintre. Plus de récit, plus de drame, mais une simple notation. Ici encore, on peut dire que Coppée reste fidèle à la poésie des humbles. Car les aspects qu’il choisit semblent les moins propres à tenter la verve du coloriste. On dirait qu’il a fait dessein de rechercher les spectacles réputés pour leur laideur. Ce sont, dans Promenades et Intérieurs, les cabarets de banlieue avec leurs buveurs attablés sous la treille, les couples de pioupious qui se promènent par les champs, la foule qui s’en retourne dans le noir après les dernières fusées du feu d’artifice, le bal en plein vent des quartiers lointains, les noces du samedi, ou encore le pêcheur à la ligne sur les bords de la Seine, le printemps au Jardin des Plantes, la tristesse du champ de foire désert. Mêmes esquisses dans le Cahier rouge, une rue de