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que l’ardeur des sens. C’est bien en quoi consiste l’amour de cette Amoureuse, et telle est l’ardeur qui dévore Germaine Fériaud. Elle a physiquement besoin de son mari. Les satisfactions qu’elle en obtient et qui lui semblent si pauvres ! ne servent qu’à entretenir et aviver sa soif de jouissance. C’est une obsession. Elle ne pense qu’à ça. De là vient le désaccord qui va bouleverser ce ménage. Car lui, au contraire, le mari, n’a pas apporté au mariage sa jeunesse intacte. Étienne Fériaud a passé par des expériences où il a laissé pas mal de sa vigueur. Comme beaucoup d’autres, il a cherché dans la vie conjugale un repos, je dirais presque des invalides. Il est bien tombé ! Les exigences insatiables d’une femme trop aimante ont bientôt fait de tuer en lui l’amour. Il ne reproche à cette femme ni des idées, ni un caractère qui lui déplaise : il ne lui reproche que ces ardeurs insoupçonnées. Il n’est entre eux pas question d’autre chose. Et voilà une nouveauté appréciable. Cette peinture de l’amour réduit aux suggestions de l’instinct s’est depuis lors installée sur notre théâtre. On a rompu avec la convention sentimentale et rejeté les vaines hypocrisies. Un homme et une femme qui s’aiment, ce ne sont plus que deux êtres de chair, de qui la chair s’est émue et qui ont envie l’un de l’autre. Jusqu’alors aussi c’était l’usage, du moins au théâtre, qu’une femme énamourée, et dût-il lui en coûter, fit quelque effort pour dissimuler sa frénésie. Il appartenait à l’homme de faire les avances ; c’était à lui d’attaquer : il semblait que cela fût dans son rôle atavique et dans ses attributions de mâle. La mode a changé : ces dames se jettent à notre tête. Nouvelles encore les circonstances de la trahison et la qualité du pardon. Voici une femme qui adore son mari : elle le trompe par dépit ou par défi, à moins que ce ne soit sous quelque innommable poussée de l’instinct. Tant il est vrai que la chair est faible ! Et ce mari, qui n’aime plus sa femme, qui vient d’être trompé par elle d’une façon odieuse et basse, ce mari pardonne en pleurnichant. Tant il est vrai que chez un homme fatigué la veulerie ne connaît pas de limites ! À ces mœurs nouvelles il fallait un dialogue approprié. D’autres, je m’empresse de le reconnaître, ont poussé plus loin le mauvais goût ou l’indécence. Je ne crois pas qu’on ait dépassé en brutalité le dialogue d’Amoureuse.

Il était intéressant ensuite de savoir quel effet produirait cette reprise. Après tant d’imitations qu’on a faites de cette pièce, nous avons eu le temps de nous familiariser avec le genre qu’elle représente. Allait-elle donc nous paraître fade et insipide ? Nullement. C’est plutôt le contraire qui s’est produit. La pièce a soulevé plus de résistances