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de la torture qu’avaient été longtemps, pour lui, ses hésitations et ses doutes au sujet des véritables sentimens de son « protecteur. » Désormais Rousseau, convaincu de la justesse de ses soupçons, semble s’être résigné, du moins pour quelque temps, à l’idée d’avoir au monde un ennemi de plus. Tout de suite, en tout cas, il s’est décidé à laisser sans réponse l’posé succinct ; et quand un ami inconnu s’est chargé d’y répondre pour lui, c’est avec une sincérité évidente qu’il a affirmé n’avoir besoin d’aucun défenseur. « J’admire le courage de l’auteur de cette réponse, écrivait-il le 15 novembre 1766. Mais, au reste, l’on peut faire et dire en ma faveur tout ce qu’on voudra : quant à moi, je n’ai rien à dire à M. Hume, si ce n’est que je le trouve trop injurieux pour un homme de bien, et trop passionné pour un philosophe. » Sans compter que, au fond, il devait sûrement se trouver réconforté par tout ce que « faisaient et disaient en sa faveur » une foule de braves gens de tous les pays, indignés de « l’acrimonie » du réquisitoire dressé contre lui : soit que, à Paris, ils imprimassent des brochures à sa louange, comme le Précis pour M. Jean-Jacques Rousseau, ou qu’ils remplissent les journaux anglais de consolations ingénues et touchantes dans le genre du singulier poème que voici :


Sois ferme, Rousseau ! En dépit de la malice d’un Voltaire et de la vanité jalouse d’un d’Alembert, et bien que la présomption t’assaille sous la forme de Walpole, et que la plus basse trahison se démène contre toi dans la personne de Hume, ne te laisse pas abattre ! Ces spectres qui s’assemblent autour de toi, ces fantômes nocturnes n’ont pas le pouvoir de blesser... L’Angleterre saura serrer l’exilé sur son sein, et ton âme trouvera le repos dans la pure conscience de sa vertu ! » (Saint-James’s Chronicle, 11 décembre 1766.)


Tous les documens s’accordent à nous le prouver : Rousseau, durant l’automne et l’hiver de 1766, a retrouvé un repos d’esprit et de cœur qu’il ne connaissait plus depuis des années, et qui, d’ailleurs, se révèle suffisamment à nous dans la merveilleuse jeunesse de la première partie des Confessions, écrite à Wooton Hall pendant ces quelques mois. Aussi bien la résidence était-elle charmante, à en juger par la description que nous en fait le critique anglais. « Entourée de bois et de rochers, la maison se dressait au sommet d’une colline qui dominait une lande sauvage et pittoresque, et d’où se découvrait un paysage presque illimité de montagnes, de prairies, et de vallons boisés. Un peu plus haut, se trouvait le village de Wooton, et, environ à un demi-kilomètre plus bas, le village d’Ellaston :