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le détail de ces négociations qui se prolongèrent pendant de longs mois. Disons seulement que le duc de Savoie s’y trouvait dans une situation singulière, et qu’il faillit payer cher ses trahisons successives. En effet les plus passionnés de ses adversaires au congrès d’Utrecht furent les représentans de l’Autriche, à qui les menées tortueuses de Victor-Amédée n’avaient pas échappé. Les représentans de la France, sans témoigner contre lui une hostilité aussi ardente, n’avaient guère raison de prendre parti pour lui, car ils avaient à se défendre contre ses prétentions exorbitantes. Il n’aurait donc point trouvé de soutien, si fort heureusement pour lui, il n’avait rencontré l’appui de l’Angleterre qui se fit son champion. Quant à lui, fidèle à son système de demander beaucoup, dût-il finir par ne rien obtenir, il continuait de réclamer en Italie le Milanais tout entier et, du côté de la France, non seulement Exilles et Fenestrelles, situées sur le versant italien des Alpes, mais Mont-Dauphin, Briançon, le fort de Barraux, qui étaient situés sur le versant français, de sorte qu’il serait devenu le maître des passages, « le portier des Alpes. » La France ne pourrait plus entrer chez lui, et il pourrait toujours entrer en France. Mais ce qu’il souhaitait par-dessus tout, car il n’était pas moins orgueilleux qu’intéressé, c’était une couronne. D’Utrecht il voulait s’en revenir roi.

Durant tout le temps que dura le congrès, son sort se débattit avec des fortunes diverses. Il en avait été ainsi autrefois durant les négociations préliminaires à l’ouverture de la succession d’Espagne. À ces négociations Victor-Amédée était partie sans le savoir et il n’était pas tenu au courant du rôle qu’on lui réservait. Mais à Utrecht, il était présent et se défendait avec énergie et souplesse. L’Autriche le combattait avec acharnement ; l’Angleterre le soutenait avec chaleur ; la France prenait une position intermédiaire. Elle combattait ses prétentions lorsqu’il voulait s’agrandir aux dépens de la France ; elle consentait à ce qu’il s’agrandît en Italie aux dépens de l’Espagne et à ce qu’un royaume de Lombardie, constitué sous la maison de Savoie par l’union du Piémont et du Milanais, servît de rempart contre les ambitions impériales. L’habile et aimable abbé de Polignac, dans ses conversations privées avec le conseiller d’État Mellarede, allait au-devant d’un rapprochement, et déjà il ébauchait, avec une singulière prescience de l’avenir, un projet d’alliance entre la France et la Savoie, contre l’Autriche. « Il disait