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spontané, mais par l’effort prolongé du producteur, et pour se dépenser plus tard en servant à la vie. Mais dans nos sociétés l’inégalité se produit et s’entretient par deux procédés bien différons, et dont l’économiste ordinaire est si loin de mettre en doute la justice et la nécessité qu’il les tient pour l’objet propre de sa science : d’abord l’échange commercial qui laisse aux mains du vendeur une portion de l’équivalent qu’il échange, son profit, d’autant plus grand que la nécessité d’acheter presse davantage l’acheteur ; en second lieu, le prêt à intérêt ou usure, par quoi chaque accumulation de richesse se perpétue. Or du commerce, principale activité de l’Angleterre et source de toute prospérité, suivant lesdits économistes, voici le principe tel qu’ils le comprennent, l’affirment, le recommandent et tel qu’on l’applique en Angleterre.

« Soient trois hommes isolés et formant une république obligés par les circonstances de se séparer pour cultiver différens morceaux de terre. » Supposons que le troisième entreprenne de porter de la ferme du premier à celle du second, et inversement, au moment utile pour les cultures, les récoltes et les bestiaux, ce que le premier et le second ont intérêt à échanger entre eux ; s’il garde pour prix de sa peine une petite portion des biens qu’il fait passer de l’une à l’autre ferme, c’est le juste salaire d’un service véritable.

Mais si découvrant que les deux autres ne peuvent pas communiquer sans lui, puis étudiant leurs besoins et le cours de leurs travaux, il profile de sa position pour arrêter les échanges nécessaires ; si, pour les rétablir, il attend que l’un et l’autre producteurs, menacés de ruine, lui payent son intervention de tout ce qu’ils pourront lui céder, sans ruine absolue, de leurs instrumens ou produits, « il est clair qu’en guettant les momens favorables, il peut arriver à s’emparer de presque toutes les récoltes des deux fermiers, et, finalement, si quelque année de disette ou de maladie les réduit à sa merci, leur acheter leurs terres au prix qu’il voudra, en les prenant eux-mêmes à sa solde comme domestiques ou laboureurs. » Tel est le procédé général du commerce conduit suivant les principes de l’économie politique moderne ; et telle est l’origine de presque toutes les fortunes modernes. Or les conséquences sociales du système sont évidentes : « Les opérations des deux producteurs véritables ont été gênées jusqu’à cesser d’être possibles, et les producteurs