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rompent les digues des deux étangs, et la rivière de Genji déborde. Ainsi protégé contre une surprise, le Nawab dispose son armée. Cependant Desing, tout au soin de haranguer ses guerriers, n’a pas su prévoir l’artifice. La rivière grossie l’arrête, mais c’est pour peu de temps. Méprisant, comme d’usage, les avis de son oncle qui lui conseille d’attendre la fin de la crue, il se jette dans l’eau mugissante. Tous passent à sa suite, non sans perte d’hommes et de chevaux.

Mais voilà qu’une dispute s’engage entre Desing et Movottoucaren : à qui sera l’honneur de frapper les premiers coups ? Le rajah se décide. Il ne privera pas son ami de cette joie. Movoltoucaren part sur son bon cheval Nilavéni qui saute par-dessus les boulets. Bientôt les morts se comptent par milliers. Movottoucaren et Nilavéni « écrasent comme des moustiques les soldats du Nawab.» Enfin Movottoucaren, plus occupé de frapper que de parer, reçoit un coup d’épée par la main de Cheick Mohammadour. Outré de colère et de douleur, il brandit son acier étincelant sur le musulman qu’il a saisi par le poignet ; il va lui abattre la tête. Cheick Mohammadour s’écrie :

— « Salam ! salam, seigneur Movottoucaren ! Si vous me laissez la vie, je publierai partout votre nom. Sans réfléchir, je suis venu à la guerre ! Vous êtes mon père, vous êtes ma mère ! Sauvez ma tête ! Je suis votre esclave !... Accordez-moi asile et protection. » En finissant cette prière, Cheick Mohammadour se prosterne aux pieds de son ennemi et fait de grands salams. — « Je ne puis épargner personne à la guerre, » répond Movottoucaren. Il a tranché et jeté la main qui le blessa. Il continue le carnage...

Enfin, las de vaincre, épuisé par la perte de son sang, Movottoucaren se retire vers Genji. Mais deux musulmans, embusqués derrière un buisson, tirent sur lui. Atteint au front, le jeune homme tombe mort. Ce fut là son premier et son dernier combat. Le cheval Nilavéni échappe aux Maures qui essayent de le prendre, et c’est en le voyant arriver, couvert de sang, que Desing apprend le sort malheureux de son ami. Prenant la bête fidèle pour guide, le rajah découvre le corps de Movottoucaren :

« Hélas ! ami de ma vie, seul vous êtes mort, mais je vous suivrai ! Cherchez-moi, en attendant, une place auprès de vous, et je vous rejoindrai, après avoir tué le Nawab. »