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orientale. Le mépris de la femme, proclamé à l’excès, situe bien le drame dans la patrie de Manou, en même temps que son respect tout extérieur nous avertit que l’islamisme côtoie l’hindouisme foncier et l’influence quoiqu’il en ait. La considération dont Desing entoure l’épouse mogole est toute d’étiquette. Pour aller au vrai, ce rajah, brahme dans les moelles comme un peshwa mahratte, ne pense qu’à son Dieu. Mais, tel un tchatria aussi, il puise la seule joie de frapper de grands coups sur l’ennemi héréditaire, le Musulman maudit par l’Hindou. C’est pourquoi il se dispense d’obéir aux ordres que Vichnou lui adresse indirectement par la voie des présages, puis directement à l’heure suprême. La vision du Paradis d’Indra, qui s’ouvre au guerrier tombé les armes à la main, hypnotise le héros. Ne trouvant pas de bras pour le frapper, ce tchatria, qui a causé la mort de tous les siens, se donne la mort sur le champ de bataille désert, et agit ainsi en brahme.

J’ajouterai que le poème nous éclaire ainsi sur le fanatisme des samouraï japonais, fanatisme hérité certainement d’ancêtres hindous par cette race qui est la moins originale de la terre, mais la plus apte à adopter les coutumes étrangères avec une déconcertante rapidité. Se tuer de sa main est la vengeance la plus terrible puisqu’elle défie votre ennemi et l’invite à mourir par le même moyen, si tant est qu’il ait l’âme un peu fière. Ne tenir qu’à bas prix la vie d’autrui, ne pas faire plus de cas de la sienne, aller de l’avant dans un vertige héroïque, ne pas se survivre en quelque sorte, comme si l’on redoutait le réveil après l’ivresse de la mêlée... Et encore la certitude, peut-être, d’avoir offensé son Dieu sans remède, et aussi l’espoir de l’apaiser par la grandeur du sacrifice Desing, ainsi présenté, est moins un héros du siècle qu’un pénitent de Vichnou. Quand il lève son épée contre Vindagarayer, au plus fort de l’action, celui-ci se contente de montrer à Desing le cordon sacré qui barre sa poitrine, et le rajah de Genji détourne son arme pour ne pas frapper un brahme. Toujours et partout la préoccupation religieuse le domine. Avant de se précipiter à la charge, il prend à témoin « Bhomidévi, déesse de la Terre, Agayavani, déesse du Ciel, le Soleil et la Lune, et le dieu Ranganaden. »

Aussi doit-on croire que cette ballade anonyme, si elle ne fut pas composée par des brahmes, le fut à leur instigation. A défaut d’autres mérites, elle se recommande par l’exactitude