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Tandis que Talleyrand cherchait un refuge dans l’oubli et le silence, il était plus que jamais menacé à Paris comme à Londres. A Paris, son émigration était officiellement constatée le 29 août. Un mois plus tard, le 30 septembre, une perquisition était opérée à son ancien domicile, « rue de l’Université, n° 90, section de la fontaine de Grenelle. » Les limiers de la police firent d’ailleurs buisson creux. Des comptes de l’évêché d’Autun et des abbayes de Saint-Denis de Reims et de Celles-sur-Cher ; un registre de correspondance, des mémoires et des quittances, des brouillons de notes politiques sur les gouvernemens de France et d’Angleterre, des pièces relatives à une société de blanchissage en commandite : voilà le butin qu’ils rapportèrent dans vingt-quatre cartons soigneusement scellés. Le tout était sans intérêt et sans importance. Même cinq lettres, « par lesquelles, dit l’inventaire, on voit que les auteurs conspiraient contre le gouvernement, » n’apprirent rien à la police : aucune n’était signée et deux seulement étaient datées[1].

Ce serait aussi à la fin de l’année 1793, — à l’époque du procès de Lebrun-Tondu qui monta sur l’échafaud le 27 décembre, — qu’auraient été imprimées à Paris de prétendues lettres adressées par Talleyrand à cet ancien ministre et à Mme de Flahaut[2]. Que ces lettres soient des faux, la question ne se pose même pas. Malgré une certaine habileté dans la rédaction, des erreurs matérielles, plus encore le ton général, font clairement voir qu’elles furent fabriquées de toutes pièces par un ennemi de Talleyrand. Il faudrait, a-t-on dit, les attribuer à Collot d’Herbois. Ne seraient-elles pas plutôt l’œuvre d’un émigré sans scrupules, intéressé à perdre Talleyrand près du gouvernement britannique ? Dans ces lettres, en effet, qui contiennent des outrages grossiers à la mémoire de Louis XVI, mêlés à un programme de propagande républicaine à travers la Grande-Bretagne et à un projet de descente sur les côtes d’Irlande et d’Angleterre, tout est calculé pour scandaliser ou irriter le roi George et ses ministres.

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, la foudre s’amassait au-dessus de la tête de Talleyrand. Elle éclata le 28 janvier 1794.

  1. Arch. nat., T. 1668 et T. 1685.
  2. Il m’a été impossible de trouver, dans aucune bibliothèque, un seul exemplaire de cette correspondance. Je n’en parle que d’après les larges citations qu’en ont faites Villemarest, Bastide, etc.