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le problème psychologique qui est posé dans chacun d’eux.

Les Mémoires du comte de Comminges débutent comme Roméo et Juliette : l’amour a surgi inattendu, irrésistible et fatal entre deux jeunes cœurs que la haine héréditaire de leurs familles aurait dû éloigner l’un de l’autre pour toujours. Mais « la tyrannie des pères » fait de cet amour un martyre. L’amante est mariée à un affreux vieillard, et l’amant désespéré ensevelit son amour dans un cloître. C’est dans ce même cloître que, plus tard, enfin délivrée de son mari, essayant sous des habits d’homme d’oublier qu’elle est femme et doublement veuve, l’amie errante viendra elle aussi chercher la paix. Elle n’y trouvera que celui qu’elle croyait mort et qu’elle n’a cessé d’aimer. Sans se révéler à lui, elle saura découvrir qu’il garde son cœur tout plein d’elle ; et, dans cette maison où elle devrait être toute à Dieu, elle goûtera un plaisir triste et comme une vengeance contre le ciel à se nourrir ainsi solitaire de cet amour profane : douloureuses voluptés, qu’elle caressera jusqu’au jour suprême où, la cloche des agonisans ayant rassemblé autour de son lit tous ses frères agenouillés et son amant parmi eux, elle osera devant lui confesser sa misère et ses délicieuses faiblesses d’une voix apaisée déjà par la mort, mais toujours amoureuse.

En dépit de ses titre et sous-titre, le Siège de Calais, nouvelle historique, n’est qu’un roman de mœurs contemporaines encadré dans une « histoire » fantaisiste. Par gageure, dit-on, Mme de Tencin le fit commencer là où les autres le plus souvent finissent : sans le vouloir, et même d’abord sans le savoir, une honnête femme « a accordé ses dernières faveurs » à un ami de son mari, alors qu’elle croyait satisfaire sans plaisir au devoir conjugal. Cet homme qui l’a prise et surprise, elle le hait pour la honte qu’il lui a laissée, mais ne peut s’empêcher de l’aimer pour les grâces infinies de sa personne. Lui, le trop charmant voleur d’amour, tout humilié de cet égarement d’une nuit, s’enfermant désormais dans un silence respectueux, ne veut plus vivre que pour se faire pardonner. C’est là ce que se disent l’un à l’autre ces deux amans inavoués dans plusieurs entrevues muettes. Peu à peu, le pénible souvenir s’éteint, l’amour gagne, le mari meurt, et ils sanctionnent dans toute la liberté de leur tendresse ce que le hasard avait consommé. A l’arrière-plan, des jeunes gens jouent au chassé-croisé d’amour : chacun prend la