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entre hommes. — Si l’on veut retrouver quelque chose de ces libres conversations, où s’échappait le naturel de la femme émancipée, où son esprit aigu et agile étonnait les hommes par sa sûreté, il faut lire ses lettres qui gardent pour nous son parler tout vif : elle y est tout entière.


III

Il est regrettable que nous en ayons si peu : une lettre au P. Manniquet, une au comte de Hoym, deux à Dubois, une à son frère, une au sieur Cottin, une an cardinal Gualterio, une à Mme Dupin, une à G. Cramer, une à Benoît XIV, quelques billets insignifians, — ce seraient là, je crois, les seuls débris d’une correspondance qui fut, comme sa vie, active et très diverse, si deux historiens plus que médiocres de la fin du XVIIIe siècle, Laborde et Soulavie, ne nous avaient conservé, dans un livre aujourd’hui rarissime[1], quatre-vingts lettres environ de Mme de Tencin, mal classées, il est vrai, parfois mutilées, insuffisamment éclaircies, mais, en dépit de quelques retouches peu scrupuleuses, authentiques.

Ces lettres qui embrassent à peine un espace de deux ans, de novembre 1742 à juillet 1744, sont toutes adressées au duc de Richelieu. Obligé, on se le rappelle, d’échanger pour quelque temps les salons de Versailles contre la province de Languedoc ou les champs de bataille de l’Allemagne, et ne voulant pas abandonner pourtant ses intrigues de cour, le duc se faisait renseigner par son amie, et concertait avec elle les travaux de défense et les plans d’attaque. Ce ne sont donc pas des lettres désintéressées, écrites pour satisfaire une virtuosité de styliste, ou même un simple caquet de femme indiscrète ; ce sont des lettres d’affaires ; et, si l’amitié, la tendresse n’y font pas défaut,

  1. Correspondance du cardinal de Tencin, ministre d’Etat et de Mme de Tencin sa sœur avec te duc de Richelieu, etc., 1 vol. in-8 de 385 p. (Paris], 1790. Il faut y joindre neuf lettres, dont cinq nouvelles, publiées (par Faur) dans la Vie privée du maréchal de Richelieu, Paris, Buisson, 1791, t. II, p. 403-444, et reproduites en appendice dans presque toutes les éditions des Œuvres complètes de Mme de Tencin. Je ne connais de la Correspondance que deux exemplaires : celui de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, incomplet (Lh75514) et celui de la Bibliothèque nationale (Lh3856). Les Goncourt en avaient un troisième, plus complet, à ce qu’ils prétendent. Je ne sais dans quelle bibliothèque il a passé.