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qu’avec des nains, et croit qu’un bon mot ou qu’une épigramme ridicule vaut mieux qu’un plan de guerre ou de pacification. Dieu veuille qu’il ne reste plus longtemps en place pour nos intérêts et ceux de la France ! »

Ses amitiés sont aussi passionnées. Sa tendresse pour Richelieu la soulage de sa haine contre Maurepas. Elle lui multiplie les protestations affectueuses : « Je vous dis tout ce que je pense... ; j’aime mon frère et ma sœur comme je vous aime, mais je ne les aime pas mieux... Vous ne connaissez pas encore mon cœur, et c’est là ce qui me fâche. Demandez-moi pardon, et dites-moi que c’est de bon cœur que vous m’aimez, et, ce qui est plus important, que vous êtes assuré que je vous aime et que ma confiance n’a et ne peut souffrir la moindre atteinte... On a toujours un ami dans le monde à qui on dit tout, et vous êtes cet ami. » Cette exubérance sentimentale masque à peine des desseins très positifs. Ce qui lui rend le duc si cher, c’est qu’il fait à la Cour toute la force du parti Tencin, et qu’en lui repose le dernier espoir du cardinal d’arriver peut-être au « grand objet : » « Nous n’avons point de famille, lui disait-elle un jour trop naïvement ; nous ne tenons à la Cour que par vous. » Richelieu, qui ne manquait point d’esprit, n’avait sans doute aucune illusion sur la sincérité de son amie. Ne lui laissait-elle pas entrevoir son égoïsme jusque dans les déclarations les plus tendres : « Mes inclinations, mes amitiés, lui écrivait-elle, sont toujours subordonnées au sentiment de mon cœur, et vous savez que ce cœur est bien à vous ; » et ailleurs : « Je suis ainsi faite ; dès que je n’estime plus, je n’aime plus. » Les mots d’ « estime » et de « cœur » essaient de donner le change ; mais l’aveu est lâché : elle aime dans la mesure de ses ambitions et de ses besoins.

Qu’importait à Richelieu, si cette amitié était aussi active, aussi ingénieuse que les plus désintéressées ? Les lettres de Mme de Tencin nous disent par le menu, presque au jour le jour, ses démarches, ses entrevues, ses recherches, ses enquêtes inlassées. Aujourd’hui, c’est Fleury, à qui on demandera une faveur insignifiante « pour avoir l’air de n’aller que par lui ; » demain, c’est Mme de la Tournelle qu’on sait gênée et à qui on offrira des ressources ; c’est la Du Châtelet qui « n’est pas habile » et qu’on fera parler ; c’est Marville, « un sot, » « tremblant devant Maurepas, » qu’il faut remplacer par un lieutenant de police sûr, courageux, et qui « haïsse cordialement les ministres ; » ce sont