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Il y a vraiment de précieuses choses dans ce petit Louvre bruxellois, — 300 tableaux environ, — dont la moitié a de la valeur, dont quelques-uns sont inestimables.

Rubens y est bien représenté, non pas d’une façon grandiose, comme il l’est, j’imagine, à Anvers, mais noblement ; et par deux portraits sur quatre, par trois tableaux sur sept ou huit, d’une manière assez nouvelle après Paris. Je serais bien embarrassé de dire ce que j’en pense, sinon les banalités qu’on répète et qui ne sont qu’une partie de la vérité. Quand j’aurai vu Anvers et Matines, peut-être en aurai-je une définition précise et plus à moi.

Quant aux Primitifs, qui sont la rareté et forment l’écrin de la collection, nous n’avons rien d’analogue et de comparable, sauf le Van Eyck. C’est véritablement étincelant de beauté, d’éclat, de fraîcheur imprévue. Et, quand on voit cela après les Primitifs de Venise, on est tenté d’admettre que l’art de peindre est sorti de ses voies au moment de son épanouissement, et qu’il a plutôt perdu que gagné à trouver des moyens d’expression plus libres et plus parfaits. Dans son genre, il est extraordinaire. Et je n’ai pas vu Bruges.

Ajoute à ces nouveautés de haut prix le plaisir de trouver des hommes secondaires ou peu connus représentés par des œuvres exquises. Souviens-toi de l’effet produit aux Alsaciens par les deux tableaux d’Antoine More. Eh bien ! il est ici, avec quelques autres, presque aussi beau, plus inattendu.

Et tout cela sans salissure, sans vernis jamais, ni craquelés, pur, net, comme au lendemain de la signature. C’est charmant.

Le Musée moderne, bien entendu, n’est rien. Je l’ai visité en conscience, par égard pour mes hôtes de ce soir, et afin de pouvoir dire à Portaëls et à M. Gallait[1] le casque je fais des vivans, même après les grands morts.

On faisait de la musique au Parc, je n’y suis point entré. Était-ce l’effet de cette peinture imbibée d’ennui ou lassitude naturelle, j’avais besoin de rentrer...

Même jour, six heures. — Je viens de passer la fin de l’après-midi chez M. Portaëls... C’est un très galant homme, fort bien élevé, instruit. Il est très riche, grand ami du Roi, a beaucoup

  1. Jean-François Portaëls, né à Vilvorde près Bruxelles, en 1818, mort en 1895, peintre d’histoire, de genre et de portraits, élève de Navez et de Paul Delaroche. — Louis Gallait (1810-1887), né à Tournai, peintre d’histoire, élève de François Hennequin et de Paul Delaroche.