Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


A la même.

15 juillet 1875.

... Je suis allé tantôt à Scheveningue. J’ai eu la pensée de t’envoyer au lieu de lettre les notes que j’ai prises en rentrant. Mais, en vérité, cela n’a ni assez de saveur, ni assez de littérature pour sortir jusqu’à nouvel ordre de mon portefeuille. C’est un mémento qui peut me servir, voilà tout.

A la nuit, je suis allé tout près, à un concert dans le bois. Il y avait un monde fou, et du plus beau. J’ai présenté des florins pour qu’on y prît le droit d’entrée. J’ai compris que c’était gratuit et qu’on entrait sur invitation. Enfin on m’a demandé ma carte, le nom de mon hôtel ; j’ai fourni l’une et l’autre et je suis entré. Imagine un concert auprès d’un chalet du Bois de Boulogne, et deux ou trois mille personnes assises sous des ormeaux et des chênes de la plus haute venue ; le luxe le plus apparent de cette ville charmante, ce sont les arbres qui sont admirables.


Mercredi 3 heures, 15 juillet[1].

... Qui ne connaît Scheveningue par les touristes, par les baigneurs, par les livres, par les peintures, depuis les plus fameuses jusqu’aux moins marquantes, depuis Adrien Van de Velde et Ruysdaël jusqu’à nos jours ? Il semble d’avance qu’on y est allé. Et c’est charmant. Qui plus est, c’est inattendu. Il fait beau, un temps doux, tiède et couvert. Pas de vent. Le quartier de la Haye qui y mène est élégant, propre, ouvert, richement construit, plus richement planté. De jolis hôtels dans des jardins, des vérandas garnies de chaises cannées, pleines de fleurs. Un grand silence, un grand bien-être, un luxe intime et bien entendu, qui fait peu de tapage au dehors et se montre moins qu’on ne le devine. Des arbres partout, dans les jardins, sur les voies. Des façades peintes et gaies ; des fleurs sur les balcons, de hautes portes reluisantes, tous les cuivres polis, toutes les fenêtres en glaces nettes et laissant bien voir au dedans. Au milieu, la voie du tramway, où passe au grand trot l’omnibus chargé de baigneurs et d’enfans surtout. Peu de passans. Quelques landaus bien attelés devant les portes fermées des hôtels.

  1. Note de voyage inédite. — Voyez Maîtres d’autrefois, 6e édit., p. 158.