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Plus loin la multitude des guérites en osier, sorte de fauteuil américain sur lequel ou aurait planté une étroite capote de cabriolet. Toutes tournent le dos au vent qui vient de terre et regardent la mince ligne de l’horizon et la frange argentée du premier flot. Beaucoup de femmes, en toilettes légères ; peu de jolies. Myriades d’enfans plus jolis que leurs mères, qui font des courses, des dessins, des trous dans le sable. Une voiture entre en pleine eau, ingénieuse machine sur quatre roues hautes. D’abord un coffre plein prenant le jour de haut, par des lucarnes. Une tête rose y paraît. C’est la cabine roulante. Y attenant et derrière une tente ouverte, une porte met en communication la tente avec la cabine ; un escalier fixe descend sous la tente de la cabine au flot. Le cocher, haut monté, ne voit rien de ce qui se passe derrière lui. La voiture va droit au flot, y entre jusqu’aux essieux, se retourne et reste là. Le cheval a de l’eau jusqu’au-dessus des genoux. La mer arrive, se brise sur l’obstacle, rejaillit sous la voiture, l’entoure d’écumes plus épaisses, plus blanches, plus continues, et pendant ce temps on aperçoit de loin à l’arrière un point sombre qui s’agite au milieu du remous blanchissant.

Admirable couleur claire, blonde et simple de tout cela. Van de Velde est bien sensible : on lui voudrait un œil plus attentif, une couleur plus vraie, un dessin plus sûr, plus varié, qui mesurât mieux les grands espaces. Tout cela est plus grand, plus ouvert qu’on ne l’a fait ; la grandeur en pareil lieu est bien quelque chose, la couleur vraie d’ailleurs est plus rare. Un œil moderne, avec l’habitude nouvelle de décomposer beaucoup de nuances, y trouverait des tons exquis dans l’apparente uniformité de l’ensemble. Cela fuit, se dégrade, se distingue, se succède à l’infini. Le sable est gris violâtre, un peu réchauffé, comme toutes choses humectées, par la montée régulière des marées. La d’une est pâle, avec des verts tristes ; les chalets de cette impalpable et forte couleur de brique dans l’ombre, couleur hollandaise et presque unique dont la peinture ancienne a d’ailleurs très bien donné l’idée !

Que de taches charmantes font les figures ! Comme un noir marque, et comme une couleur claire y délaie une clarté tempérée !

L’horizon est entouré d’orages. Une grande nuée grisâtre, simple et si bien peinte, s’élève à l’Ouest, et fait paraître la mer