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Ce paragraphe est pour Marguerite, car l’andante de la douzième sonate, c’est maintenant déjà sa première jeunesse et mon ancien temps[1].

... J’ai bien examiné ma carte et mon guide : je ne laisse derrière moi rien d’indispensable ; au point de vue historique, j’aurais dû voir plus, mais ceci ne me regarde pas.


Harlem, 20 juillet[2].

... C’est à Ruysdaël qu’on pense le plus et sans cesse. Les autres sont trop Italiens avec leurs ciels orangés, ou d’azur net, et leurs fonds en amphithéâtre. Le grand naïf, le pieux observateur, le grand portraitiste inspiré de la Hollande, c’est Ruysdaël. Quel dommage qu’il ait été réduit à faire faire ses figures par ses spirituels amis !

Les plus belles études de Van de Velde sont spirituelles et vraies, plutôt qu’ingénues et fortes. Ses tableaux sont décidément du Karel et du Berghem. Karel est peut-être plus particulier.

Franz Hals. — ... Manet s’est évidemment inspiré de la dernière manière. Mais avec un œil moins juste, un sentiment de la nature bien inférieur (ai-je besoin de le dire ?). L’imita-t-il de plus près ? Pourquoi donc imiter les défaillances d’un homme de quatre-vingts ans quand on ne les a pas, et faire croire à de la sénilité quand on est si jeune ?

Presque tous les défauts des grands artistes sont le fait de leur précipitation, de leur insouciance, de leur négligence ou d’un faux système. Il est clair que ce sont des traits imparfaits, d’accent plus facile à saisir, aussi est-ce toujours par là qu’on les copie.

On copie la suie chaude de Rembrandt, les abus de Rubens, ses reflets de pourpre et ses demi-teintes bleues ; on exagère encore la rondeur ronflante de ses contours. De Franz Hals, on prend les indications sommaires, les coups de brosse rapides. Seulement, au lieu de se tenir juste dans le sentiment du geste, de la forme et de la couleur, on les donne à tort et à travers. Ils ont des yeux et une main qui ne savent ni bien voir, ni bien manier leur outil. Et, parce que leur palette est plus sommaire,

  1. Carnet de voyage : « L’orgue de Harlem. Andante de la 12e sonate de Mozart et le Doux martyre des Noces. Voilà donc encore une langue universelle, — avec le battement du flot sur la grève de Scheveningue. »
  2. Note inédite extraite des Carnets de voyage. — Voyez Maîtres d’autrefois, 6e édit., p. 243 sur Ruysdaël et p. 300 sur Franz Hals et l’école de Manet.