Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de transformer le rapport, selon ses propres expressions, en « un tableau, fort incomplet, sans doute, mais utile à connaître, du mouvement littéraire pendant la dernière année. » A la tâche ainsi comprise, il apporta de remarquables qualités de critique, et d’abord une lucidité et une rapidité d’analyse qu’il est difficile de surpasser. Sacrifiant les détails superflus, dégageant l’idée essentielle, la condensant dans une formule aussi sobre que saisissante, il arrivait à donner en une page, en quelques phrases, la substance de tout un livre, — et, très souvent, d’un livre tout nouveau pour lui, éloigné de sa compétence spéciale. Histoire, poésie, voyages, philosophie, critique dramatique, littérature étrangère, il parlait également de tout, aidé sans doute par les rapporteurs spéciaux, mais pourtant se réservant le dernier travail d’assimilation et de mise au point. À cette souplesse d’esprit, il joignait enfin une rare modération de jugement, rendant justice à des écrivains très différens de lui. Ce soin du rapport annuel, dont il avouait volontiers la lourdeur, et qu’il assuma, on peut le dire, jusqu’à la veille de sa mort, ne suffisait pas à ses yeux pour acquitter ses devoirs de secrétaire perpétuel. Il avait commencé, et mené jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, des recherches sur l’histoire de sa Compagnie. Il y voyait, entre autres avantages, celui de rattacher l’Institut à sa double origine, monarchique et révolutionnaire. Quand il présida la séance des cinq Académies en 1892, il remarqua que l’Institut avait pour fondateurs aussi bien Condorcet et Lakanal que Richelieu et Colbert : c’était plus qu’une boutade piquante ; c’était, chez cet homme de tradition, un désir légitime de ne rien abdiquer des origines complexes, et parfois contradictoires, d’où procèdent les choses d’aujourd’hui.

A l’Académie des Inscriptions, où il entra en 1886 en remplacement de l’épigraphiste Léon Renier, son rôle fut moins marqué, sans être effacé pourtant. Il y représenta dignement l’alliance de la culture littéraire et de l’érudition, en face de confrères qui, pour la plupart, étaient plus étroitement spécialisés que lui, mais qui faisaient autant de cas de sa rectitude de jugement que de son talent d’écrivain. Il y fut souvent aussi, dans mainte question d’histoire ou de philologie, le défenseur des opinions accréditées. Lorsque tel de ses confrères, archéologue éminent et novateur audacieux, venait apporter une interprétation inédite d’un texte classique ou d’un mythe ancien,