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M. Bryan est un politicien ; il a été député ; il est, par-dessus tout, orateur de réunion publique, orateur entraînant, vibrant, puissant par la voix, l’action, le geste plus que par la dialectique, insouciant de toute objection qu’il n’a pas prévue, meneur de foules, séduisant pour les uns, décevant pour les autres, suivant qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce genre d’esprit et ce genre d’éloquence.

Il est plus jeune que M. Taft de trois ans, étant né le 15 mars 1860. C’est à l’Union Collège of Law de Chicago qu’il a pris ses grades de droit. C’est à Jacksonville (Illinois) qu’il a débuté au barreau. Il ne s’y attarda pas d’ailleurs, et quelques années plus tard, on le retrouvait à Lincoln, dans le Nebraska. En 1890, cet État l’envoyait à la Chambre des représentans, à Washington : il avait trente ans. Six ans après, à trente-six ans, la Convention démocrate, réunie à Indianapolis, le désignait comme candidat démocrate à la présidence contre M. Mac Kinley, candidat des républicains. Il fut battu. En 1900, nouvelle candidature, nouvel échec. En 1904, les démocrates se détournèrent de M. Bryan et donnèrent leurs voix à M. Parker. Ils reviennent en 1908 à leur candidat d’il y a douze ans, et ils retrouvent en lui, sinon les mêmes idées, du moins un talent égal et une ardeur inlassée.

Le début de M. Bryan fut un coup d’éclat, sinon un coup de maître. En ce temps-là, l’Ouest des États-Unis, surtout agricole, manquait de capitaux et de bras. Il réclamait l’abaissement des tarifs, tandis que l’Est, industriel, exigeait une protection douanière. Des difficultés monétaires s’ajoutaient à la crise économique. M. Bryan crut trouver le remède qui ferait, en même temps que le bonheur des agriculteurs de l’Ouest, le succès des démocrates. Il réclama la libre frappe de l’argent. Les producteurs de ce métal et les gens de l’Ouest l’acclamèrent comme un sauveur. « Laisserons-nous, s’écriait-il, crucifier les États-Unis sur une croix d’or ? » L’or, pour M. Bryan, était la monnaie des ploutocrates ; l’argent, au contraire, était démocratique. Il fallait le réhabiliter, affirmer ainsi l’indépendance de l’Union à l’égard du reste du monde, vivre heureux chez soi avec le free coinage. Cette campagne, habile politiquement, présentait des dangers financiers que nul ne devait méconnaître. Comme me le disait un des hommes d’affaires les plus considérables de New- York, si elle eût abouti, la fortune américaine