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C’est en 1792 et en 1795, à deux reprises successives, que Laukhard a publié d’abord, chez un éditeur de Halle, la relation détaillée des faits les plus notables de son extravagante carrière. La première partie de ses Souvenirs, toute consacrée à la description de son enfance et de ses longs séjours dans une demi-douzaine d’universités allemandes, a obtenu un certain succès de curiosité, justifié non seulement par le mérite propre du livre, mais aussi par le renom qu’avait momentanément procuré, à l’auteur, le bizarre coup de tête qui, un beau jour, quelques années auparavant, avait transformé ce savant professeur en un simple soldat de l’armée prussienne ; tandis que la seconde partie, — traitant des campagnes où l’ex-professeur avait pris part, tour à tour, dans l’armée de la coalition allemande contre la France, dans l’armée française des Sans-Culottes, et puis encore dans l’armée, également française, des émigrés royalistes, — a passé presque inaperçue, au milieu de l’indifférence du public allemand de 1795 pour toute autre chose que ses soucis et ses craintes de l’heure présente. Après quoi ces volumes sont restés ignorés pendant plus d’un siècle, sans que, toutefois, les principaux Dictionnaires de la Conversation aient cessé d’accorder une brève mention à l’étrange personnage qui les avait écrits. Et l’on ne saurait trop remercier M. Victor Petersen de les avoir enfin tirés de l’oubli, en une édition abrégée et parfaitement mise au point, avec une intéressantes notice biographique, et, plus intéressant encore, un portrait gravé de l’auteur, où le grand front fuyant, la courbe aiguë du nez, l’expression ironique et sensuelle des lèvres, et tout l’ensemble saisissant de la physionomie, confirment à souhait l’image que les « confessions » de Laukhard nous fournissent de l’esprit et du caractère de ce savant, spirituel, et amusant coquin. C’est d’après cette réédition que je vais essayer d’analyser rapidement l’autobiographie de Laukhard, en m’arrêtant surtout aux passages qui concernent de plus près l’histoire de la Révolution : mais au reste il n’y a pas, d’un bout à l’autre des deux volumes que vient de nous donner M. Petersen, un seul chapitre qui n’abonde en anecdotes piquantes, en réflexions originales et souvent ingénieuses, en révélations « suggestives » sur l’une des âmes les plus complexes et les plus disparates qui, jamais, se soient étalées devant nous dans leur nudité.