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moitié du XVIIIe siècle, sous l’influence de notre mouvement encyclopédiste : infiniment érudit, plus versé que personne de son temps dans toutes les matières de la philologie orientale et de l’exégèse, il enseignait une espèce de déisme chrétien, qui, tout en exaltant les principes moraux de l’Evangile, faisait profession de n’admettre, dans la religion, aucun élément de surnaturel ; avec cela un fort brave homme, modèle de désintéressement et de charité, et toujours prêt à excuser les « frasques » de son jeune ami en considération des sarcasmes, plus ou moins spirituels, dont celui-ci ne se lassait point d’accabler le catéchisme luthérien et ses défenseurs.

Mais ni ses conseils, ni le spectacle de ses propres vertus ne parvenaient, décidément, à prévaloir contre les habitudes, très peu « magistrales, » que Laukhard avait rapportées de ses longues années de séjour dans les cabarets, tripots, et autres mauvais lieux de Giessen et d’Heidelberg, — et puis aussi de Francfort, de Mayence, et de Strasbourg, oil j’ai oublié d’ajouter que l’apprenti-théologien, en compagnie d’un gentilhomme bavarois et d’un jésuite défroqué, avait jadis promené sa double soif de vin et de « libre pensée. » Tantôt les graves professeurs de l’université de Halle avaient le chagrin d’apprendre que leur nouveau collègue venait d’être ramassé, ivre-mort, dans une rue d’Iéna ; ou bien le bruit courait que « maître » Laukhard s’était vu refuser, par le censeur de l’université, la permission de publier un roman où étaient outrageusement diffamés de notables et respectables habitans de la ville. Pour échapper aux remontrances paternelles du docteur Semler, Laukhard, que ce savant homme avait d’abord recueilli dans sa maison, était allé se loger dans une auberge des plus mal famées ; et les parens de plusieurs de ses élèves avaient, tout de suite, interdit à leurs enfans de continuer à prendre des leçons chez lui, ou même de continuer à suivre les cours publics d’un professeur qui semblait avoir pris à tâche de les scandaliser. Enfin c’était comme si son ancienne adresse même à éviter le remboursement de ses dettes se fût, à la longue, fatiguée et usée : car, de jour en jour, ses supérieurs hiérarchiques et son brave homme de père recevaient, en plus grande abondance, les réclamations irritées de ses créanciers. De telle façon que sa carrière professorale non seulement lui devenait sans cesse plus pénible, mais menaçait d’aboutir, très vite, à une catastrophe ; par où nous pouvons nous expliquer,