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adresser à ses compagnons un long et pompeux discours où il comparait les procès des trois souverains qui avaient été mis à mort par leurs sujets, Agis de Lacédémone, Charles Ier d’Angleterre, et Louis Capet, en concluant à l’entière légitimité de la condamnation de ce dernier ; et son discours était si savant, avec une éloquence si imprévue chez un soldat ivre, que l’orateur eut à le répéter, le lendemain, devant un groupe d’officiers, — ce qui lui procura un nouveau « pourboire, » accompagné, simplement, d’une exhortation à tempérer la ferveur expansive de son « libéralisme. »

Le 14 avril, le régiment vint collaborer au siège de Mayence. De l’endroit où ils étaient postés, Laukhard et ses camarades avaient souvent l’occasion de causer avec des soldats français, à travers un canal qui les séparait ; et ses Souvenirs nous fournissent un échantillon des étonnans dialogues qui s’engageaient là. « Ecoute un peu, patriote du diable, — commençait, par exemple, un soldat prussien, — est-ce que tu vas bientôt monter à la guillotine ? — Et toi, maudit valet des tyrans, dis, est-ce que ton caporal va bientôt te rendre boiteux, à force de schlague ? — Chiens que vous êtes, vous avez assassiné votre roi ; et il faudra que, pour votre peine, vous alliez tous en enfer ! — C’est-à-dire que, si vous n’étiez pas des idiots, vous infligeriez le même sort à tous les tyrans ! Et cette conduite ferait de vous des hommes, tandis que vous n’êtes que des animaux en servage, et méritez bien tous les coups de fouet que vous recevez ! »


Mais, ainsi que Laukhard nous le dit lui-même, les événemens, durant toute cette première partie de la campagne contre la France, l’ont condamné à ne jouer qu’un rôle de témoin ou de figurant ; et ce n’est que vers la fin de septembre 1793 que sa situation a brusquement changé, rendant désormais son rôle personnel assez considérable pour lui permettre de modifier le ton de son récit, où il va pouvoir, nous annonce-t-il, « recommencer à parler surtout de ses propres actions. »


III

Le régiment dont il faisait partie était en train, depuis le 18 septembre, d’assiéger l’importante place forte de Landau, en Alsace. On savait que cette ville, au contraire de Longwy et de