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ballon fait une légère embardée qui le pousse un peu trop vers la Tour Eiffel. On s’émeut ; on suit des yeux la tache blanche, qui devient de plus en plus petite dans le ciel ; après quelques secondes qui paraissent des siècles, elle s’allonge enfin, le Santos-Dumont n° 6 se présente par le travers. « Il tourne ! il tourne ! » clament des centaines de voix. Et, en effet, le ballon se rapproche de la Tour, la côtoie, passe devant, emporté même assez loin à droite, en apparence tout au moins.

Quand on voit le mince fuseau coupé en deux par la ligne noire de la Tour, entre la deuxième et la troisième plate-forme, c’est un enthousiasme bruyant, délirant : 8 min. 45 ont suffi pour faire la moitié du trajet, 5 400 mètres environ. Mais, jusqu’alors, le ballon a marché à peu près dans le vent ; il lui faut maintenant lutter contre. Aussi voit-on l’aéronat, — c’est la dénomination technique adoptée aujourd’hui pour les dirigeables, — tanguer fortement et faire de nombreuses embardées. Le retour paraît fort long ; c’est avec une fièvre véritable que les spectateurs regardent grandir lentement, très lentement leur semble-t-il, le ballon. Enfin à 3 h. 11 m. 30 s., il arrive au zénith du Parc de l’Aéro-Club. Il n’a mis pour accomplir son trajet que 29 m. 30 s. Mais il est trop haut pour qu’on puisse saisir son guide-rope, condition exigée par le règlement, malencontreusement remanié presque à la veille de la course. N’importe ! le bon sens indique que le prix est gagné, car, à ce moment, s’il eût voulu déchirer son appareil, Santos-Dumont eût touché terre en moins de dix secondes, et M. Henri Deustch, sans hésiter, félicite l’heureux vainqueur.

Toutefois, le prix une fois acquis, il s’agissait de décider si l’exploit qui venait d’être accompli marquait un pas décisif dans la solution du problème de la navigation aérienne par le plus léger que l’air. Cette question, aujourd’hui, est définitivement tranchée : on s’est mis d’accord pour reconnaître que, dans cette mémorable ascension, le Santos-Dumont n° 6 a marché avec une vitesse propre d’environ 8 mètres par seconde, dépassant ainsi de 1m, 50 la vitesse maximum obtenue par le colonel Renard, avec la France, en 1885. Le progrès est donc incontestable, mais il est incontestable aussi que, d’après les évaluations les plus modérées (voir le n° de la Revue du 15 mars 1901), M. Santos-Dumont aurait dû atteindre 10 à 11 mètres de vitesse propre ; que si, par suite des vices de construction de son dirigeable, ce