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la Chambre, non seulement à droite et au centre, mais jusque sur les bancs avancés de la gauche, et un député radical de Paris, M. Puech, a présenté un amendement qui imposait à l’administration « la charge de prouver l’inexactitude de la déclaration, à l’aide des moyens dont elle dispose en vertu des lois existantes. » La situation était retournée : le contribuable, le commerçant, n’avait qu’à attendre que la preuve lut faite contre lui : il n’avait lui-même aucune pièce à produire. M. Caillaux s’est élevé avec vigueur contre l’amendement de M. Puech : il a déclaré que tout le système de la loi serait renversé, si cet amendement était voté, et que la réforme ne serait plus qu’une « comédie. » surprise ! lorsqu’on en est venu au vote, 311 voix contre 230 se sont prononcées pour l’amendement. Par malheur, comme il avait été présenté en cours de séance, le vote ne comportait que la prise en considération, autrement dit le renvoi à la Commission. Mais qui pouvait se méprendre sur la pensée, et sur le sentiment de la Chambre ? Elle reculait, épouvantée, devant l’inquisition fiscale. Sachant les habitudes d’esprit de notre pays et les mœurs qui en sont la conséquence, elle sentait qu’imposer aux commerçans la production de leurs livres de commerce serait aller au-devant d’une formidable impopularité. De là son vote : mais elle n’y a pas persisté.

M. le ministre des Finances, qui connaît son monde, qui connaît la Chambre, qui connaît M. Puech, ne s’est pas découragé : il a espéré qu’on pourrait se mettre d’accord sur un texte équivoque, qu’il interpréterait ensuite à son aise, et il n’a pas eu tort. M. Puech a été le premier à se laisser prendre au piège. Le nouveau texte dit qu’ « en aucun cas, même si une expertise est ordonnée, le tribunal ne pourra exiger la production des livres de commerce. » Sans doute, mais il pourra la rendre indispensable. Rien ne sera plus facile. Il suffira pour l’agent du il se de taxer le contribuable suivant un revenu très supérieur à celui qu’il a ; le contribuable devra alors faire la preuve de son revenu réel, et comment pourrait-il la faire sans produire ses livres de commerce ? M. le ministre des Finances a très bien su ce qu’il faisait. Il a joué avec la Chambre, avec la Commission, avec M. Puech, comme le chat avec la souris. Quand il s’est vu sûr de son fait, il n’a pas hésité à dire que la production de ses livres resterait facultative pour le contribuable ; mais que celui-ci, « dans la plupart des cas, y aurait un immense intérêt. » M. Caillaux, pour faire repousser l’amendement, s’était écrié que, s’il était voté, la réforme serait une comédie : c’est l’amendement