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M. Waldeck-Rousseau expliquait aux préfets qu’ils ne devaient pas se contenter de faire respecter la loi ; ils devaient stimuler l’esprit d’association, « aplanir sur sa route les difficultés qui ne sauraient manquer de naître de l’inexpérience et du défaut d’habitude de cette liberté. » Il ajoutait : « Bien que l’administration ne tienne de la loi du 21 mars aucun rôle obligatoire (dans l’éclosion et le fonctionnement des syndicats), il n’est pas admissible qu’elle demeure indifférente et je pense que c’est un devoir pour elle d’y participer en mettant à la disposition de tous les intéressés ses services et son dévouement. » Il conseillait, d’ailleurs, aux préfets beaucoup de prudence pour « ne pas exciter des méfiances ; » mais il les invitait, en ce qui concernait les nouveaux organismes, à se préparer à ce rôle de conseiller et de collaborateur dévoué par l’étude approfondie de la législation et des organismes similaires existant en France et à l’étranger. » Quelle était, au juste alors, la pensée de M. Waldeck-Rousseau, qu’espérait-il et qu’attendait-il des syndicats ouvriers ? Se proposait-il, ainsi que l’écrit M. Georges Sorel, d’« organiser parmi les ouvriers une hiérarchie placée sous la direction de la police ? » Il est possible que, dans une mesure atténuée, il ait eu cette idée. Il est probable, toutefois, que M. Waldeck Rousseau qui, par une singulière contradiction, a toujours eu le style très précis et la pensée très vague, s’était simplement inspiré d’un certain idéalisme politique en même temps que du désir d’associer son nom à un grand mouvement social. Il ne prévoyait nullement que les syndicats pussent participer à une grande agitation révolutionnaire.

Dans la circulaire que nous venons d’analyser, il parlait, avec son habituelle et superficielle ironie, du « péril hypothétique d’une fédération anti-sociale de tous les travailleurs. » M. G. Sorel fait remarquer que c’était aussi la conception de la plupart des démocrates de ce temps[1]. L’un d’eux, à la fois industriel, maire du XIe arrondissement de Paris, gambettiste ardent, auteur d’un livre qui eut un grand retentissement sur les ouvriers parisiens, M. Denis Poulot, écrivait, dans la préface de la troisième édition du Sublime, que les syndicats tueraient les grèves, et il n’était préoccupé, comme le fut, d’ailleurs, plus tard, M. Waldeck-Rousseau, que du péril noir, non du péril rouge.

  1. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, p. 185 et 186.