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situation matérielle et morale. Parmi les syndicats qui bientôt foisonnèrent, certaines catégories restèrent, dans l’ensemble, fidèles à la conception originelle : ce fut le cas de la généralité des syndicats agricoles, de la plupart des syndicats de patrons et des syndicats mixtes de patrons et d’ouvriers, ces derniers, par des raisons qui tiennent à notre état social, étant restés peu nombreux. Parmi les syndicats ouvriers, il s’en trouve également qui, conformément au programme de 1884, s’en tiennent à l’étude et à la défense immédiate et pratique des intérêts de leurs membres, sans poursuivre une transformation sociale par des moyens révolutionnaires.

Il est difficile d’en faire le compte. Mais un très grand nombre de syndicats ouvriers et de Bourses du travail ont rapidement dévié de leur destination véritable ; d’autres se constituaient ou fonctionnaient en dehors des prescriptions légales ; ceux-là surtout se proposaient un autre but que l’essor graduel, par des moyens légaux ou légitimes, de la population ouvrière. Certains syndicats et surtout certaines Bourses du travail, dans les principaux centres, notamment à Paris, apparurent bientôt comme de véritables machines de guerre sociale, non seulement fomentant à tout propos des grèves violentes, s’attaquant à la liberté des dissidens, devenant des instrumens de propagande systématique et acharnée contre l’organisation de la société moderne, qui repose sur la propriété privée et sur la direction privée des entreprises. Il surgissait, en outre, un grand nombre de syndicats ouvriers irréguliers, ne se conformant pas aux prescriptions, d’ailleurs bien peu exigeantes, de la loi de 1884, qui se contente, outre la spécialité professionnelle stipulée pour chaque syndicat par l’article 2, de demander le dépôt des statuts, des noms des administrateurs et d’imposer, pour ceux-ci, la qualité de Français et la jouissance des droits civils. Certaines Bourses du travail, non des moindres, accueillaient et abritaient ces syndicats irréguliers. Il se trouvait ainsi que, à son insu, le législateur de 1884 avait fourni des organes légaux à la lutte des classes et que ces organes, grâce aux locaux et aux subventions que les municipalités mettaient à leur disposition, étaient en réalité commandités avec les deniers publics et jouissaient d’une sorte de privilège d’institution gouvernementale et officielle qui accroissait leur prestige.

Un des rares ministres énergiques qu’ait eus la France depuis