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peu que le gouvernement ait nié toute relation avec les syndicats… La révélation de ces manœuvres nous montre que le ministère comptait sur les syndicats pour faire peur aux conservateurs ; il devient dès lors facile de comprendre l’attitude qu’il a eue durant plusieurs grèves : d’une part, M. Waldeck-Rousseau proclamait, avec une force extraordinaire, la nécessité d’accorder la protection de la force publique à un seul ouvrier qui voudrait travailler malgré les grévistes ; et, d’autre part, il fermait plus d’une fois les yeux sur des violences ; c’est qu’il avait besoin d’enrayer et d’effrayer les progressistes et qu’il entendait se réserver le droit d’intervenir, par la force, le jour où ses intérêts politiques lui commanderaient de faire disparaître tout désordre. Dans l’état précaire où était son autorité dans le pays, il ne croyait pouvoir gouverner qu’en faisant peur et en s’imposant comme un souverain arbitre des différends industriels[1]. » Il se peut que M. Georges Sorel, qui est actuellement le théoricien révolutionnaire le plus radical de France et peut-être d’Europe, exagère, dans une certaine mesure, quand il transforme en une sorte de concert réglé avec les syndicats ouvriers rouges ce qui ne fut peut-être, de la part de M. Waldeck-Rousseau, qu’une connivence ou une entente, sinon tacite, du moins mal définie ; mais il est certain que, sous le troisième ministère Waldeck-Rousseau, le gouvernement, par sa conduite tout au moins oblique, par ses flatteries incessantes, tendit à exalter les syndicats ouvriers et à encourager leurs tendances à la lutte des classes et à l’oppression de la population ouvrière. On sait que divers projets de loi furent alors élaborés pour transformer les syndicats ouvriers en institutions complètement officielles, donnant à leurs membres des droits qui seraient refusés aux ouvriers restant en dehors de ces groupemens. Quant aux coquetteries, pour employer le mot le plus doux, de M. Waldeck-Rousseau, pendant son troisième ministère, avec les syndicats rouges, peut-on être assuré qu’elles ne se soient plus reproduites sous certains de ses successeurs et que la méthode de capituler devant les syndicats révolutionnaires, tout en s’efforçant de rallier à soi les « bourgeois » par la peur, ait été depuis lors abandonnée ? En fait, les syndicats ouvriers, et plus encore les agités que les paisibles, bénéficièrent et

  1. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, p. 189 et 190.