Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spontané, parallèle à l’universelle tendance vers le bonheur, et la manifestant. Au total, quelle différence entre les impressions d’un Français en Angleterre il y a quarante ans, et celles qu’il y trouve aujourd’hui ! Spleen, ennui, laideur, ces trois mots suffisaient à son jugement. Certes les bas quartiers pauvres des grandes villes anglaises ne sont pas devenus réjouissans : la pauvreté ne l’est jamais ; mais leurs légendaires aspects, la fange, la corruption, les affreux dessous d’abîme dont on nous parlait jadis ont disparu. L’étranger qui les visite, en quête de l’horrible et de l’inconnu, y est désappointé. Au lieu des taudis, des puanteurs, du grouillement, des corruptions étalées, il trouve de nettes et larges avenues que les tramways sillonnent, et, çà et là, dans ce qui n’était jadis qu’agglomération sordide et monotone, étendue inorganique de misère, des églises, des chapelles, des hôpitaux, des écoles, des salles de réunion publique, vingt édifices signalant les entreprises privées de bienfaisance, de groupement et de relèvement, un effort général pour sauver les corps et les âmes, une active vie civique. Mais ce sont là les bas faubourgs où la vie reste au-dessous de l’étiage moyen. Voyez la ville véritable, ses architectures et ses perspectives nouvelles, voyez ses foules, leur décision et rapidité de mouvement, leur pas élastique et joyeux, l’aspect tonique des visages, les toilettes féminines aux tons de fleurs, certaines harmonies et recherches de couleur qui étonnent après la description des violences et des crudités anciennes, — voyez le charmant et délicat décor intérieur de tant de maisons, les récréations raffinées à la campagne, les admirables et savans jardins, les vifs essaims de yoles sur la rivière, aux régions de son cours où le paysage est parfait, — tous les jeux, tous les salubres plaisirs, et concluez à une vitalité qui monte et se manifeste comme toujours par le sens, le désir et la poursuite de la beauté. Ce n’est pas le premier exemple que l’humanité anglaise nous donne d’un tel changement de son caractère. Après l’expansive et splendide Angleterre de la Renaissance, l’Angleterre farouche, rigide et concentrée des puritains, — après l’Angleterre rassise, sensuelle et satisfaite de l’âge suivant, l’Angleterre imaginative, douloureuse, évangélique et mystique du siècle dernier. A celle-ci succède celle que nous voyons apparaître, optimiste et active, éprise d’énergie utile et organisée, d’hygiène et de bonheur. Telles sont les variations d’un peuple, jamais définitives, analogues à celles