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éprouvé un pareil sentiment de bien-être, de joie calme et grave. Ce coin de terre était à souhait pour servir de caravansérail à des foules religieuses.

Du haut de la petite colline du Kronion, on peut l’embrasser tout entier. On passe le ruisseau du Cladéos sur un pont de bois, on longe obliquement les ruines, et l’on monte sur cette butte arrondie et sablonneuse qui domine la vallée de l’Alphée. Tout modeste qu’il est, le Kronion m’avait charmé à première vue. C’était à l’heure du soleil couchant. Les pins, qui le revêtent du haut en bas, étageaient leurs longues tiges dans la lumière vermeille, comme des quenouilles d’émeraude. La masse harmonieuse des verdures chatoyait de reflets soyeux et chauds, et l’on songeait à un grand reposoir. De cet endroit, je sentis davantage la douceur pastorale et religieuse de la contrée.

Elle a bien changé, depuis les siècles de sa splendeur. Un tremblement de terre a bouleversé le niveau de la plaine, détourné le lit de la rivière, enfoui profondément les débris des constructions antiques. Mais l’aspect général est toujours le même sans doute. L’atmosphère et le décor de nature sont identiques.

En bas du Kronion, dans l’angle formé par le Cladéos et l’Alphée, j’aperçois nettement le quadrilatère de l’Altis, l’enceinte sacrée de Zeus, où, parmi les platanes et les herbes jaunies, bâillent les trous des fouilles, s’amoncellent les décombres. Rien ne se distingue, dans cette confusion de pierres, dans ce fouillis de plantes et d’arbustes, que le stylobate rasé du grand temple, les colonnes trapues de l’Héraion, l’arche voûtée du couloir qui conduisait au stade. Cet espace occupé par l’Altis et par les édifices groupés alentour n’est pas très considérable. Comme toujours, lorsqu’on se trouve en présence d’une ruine grecque, on s’étonne des dimensions restreintes.

À gauche, une échappée déplaisante sur un hôtel et sur le musée, — ce dernier hideux à voir : un pastiche de style dorique, polychrome, avec des applications en terre cuite !… Mais la vue gagne immédiatement les beaux horizons de la vallée, encore un peu nus du côté du couchant. De minces cordons de peupliers tracent des lignes grêles sur les crêtes des collines : c’est le peuplier blanc qu’on brûlait autrefois pour les dieux dans les sacrifices. En face, par delà les ruines, l’Alphée, divisé en