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la déesse glissait dans l’air bleu, comme un oiseau qui s’abat sur une roche. Sa jambe robuste, avancée avec décision, prenait fortement possession du sol. Et rien que ce geste annonçait la Victoire fidèle qui s’établit sur une terre, et non l’inconstante Fortune qui ne se fixe un instant que pour s’envoler plus vite.

De grandes ailes qui palpitent, une forme puissante et légère qui s’abaisse et qui plane encore, des draperies flottantes, une main souveraine tenant la palme ou la couronne, ces symboles de gloire, à peine évoqués, me transfigurent la désolation de l’Altis. Ils m’aident à concevoir l’image idéale que j’en veux emporter. Je vois un bosquet de platanes, d’où émergent les acrotères et le fronton d’un temple dorique, des statues à demi cachées par les troncs des arbres : blancheurs immobiles sur qui tombe un rais de soleil et qu’animent les reflets tremblans des feuilles ; des éclairs de marbre et de métaux précieux au fond de la pénombre verte, et, par-dessus les fumées des autels, en face du Kronion tout éclatant sous les aiguilles d’or de ses pins, la calme Victoire qui descend les escaliers de l’azur !

Je m’illusionne à plaisir, je le sais ! Qu’importe, après tout, puisque j’en ai conscience et que je puis toujours, si je le veux, franchir la distance qui sépare mes songeries de la réalité ?

Mais il fait trop chaud, à cette heure-ci du soir, sous le portique d’Echo qui est exposé au couchant. Les pèlerins devaient y rôtir. C’est le matin seulement qu’on y était au frais. J’émigré vers le mur opposé de l’Altis, et je m’assieds sur une pierre, à côté de la Porte des Processions.

La Voie sacrée, la Porte des Processions, tous ces mots pompeux ont de si magnifiques résonances pour les oreilles modernes ! Rien qu’à les entendre, on s’imagine tout de suite des propylées flanqués de colonnes et de statues, de vastes déambulatoires, où des foules circulent avec lenteur, rythmant leurs pas au son des flûtes et des lyres et portant des rameaux noués de bandelettes. Illusion encore, j’en ai peur ! La Porte des Processions, près de laquelle je me repose, est une simple ouverture pratiquée dans l’enceinte de l’Altis et tout juste assez large