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D’abord le respect, sur mer comme sur terre, de la propriété privée ennemie. Vainement, le premier écrivain maritime de ce temps, le capitaine américain Mahan, développe-t-il ce thème « que l’arrêt du commerce, total ou partiel, épuise sans combat ; qu’il oblige à faire la paix sans sacrifier d’existences ; et que c’est la gloire de la puissance maritime d’atteindre à ses fins en épuisant les dollars des hommes, au lieu de leur sang[1]. » La question est de savoir si prendre les dollars est économiser le sang ; car s’attaquer à la richesse, c’est précisément s’attaquer à la vie, non sans doute à celle des combattans, qui forme l’enjeu de la lutte, mais à celle des non-combattans, qui doivent rester en dehors. Affamer un peuple, ruiner ses industries, est-ce borner le conflit à la destruction des fortunes ? N’est-ce pas aussi l’étendre aux sources profondes de la vitalité humaine ? Dans la guerre terrestre, si meurtrière soit-elle, la population pacifique, — femmes, enfans, vieillards, — est épargnée ; dans la guerre maritime, cette même population pacifique est atteinte, et c’est ici qu’avec une apparence plus douce la guerre est en réalité plus dure. Fruit de la paix, source de la vie, la richesse humaine, sur mer comme sur terre, doit toujours être sauve. Et d’autre part, quand la limitation des armemens s’aperçoit de loin, — de très loin, — comme un idéal « hautement désirable, » n’est-ce pas la solution qui s’impose ? Si la marine marchande est vulnérable, il faut la défendre. Plus elle est importante, plus elle offre de surface aux assauts de l’ennemi et plus, logiquement, il faut développer la marine militaire qui la doit protéger. Mais couvrez la marine marchande par un principe de droit, alors la marine de guerre, déchargée d’une partie de son rôle, peut diminuer sa force et réduire ses budgets : c’est une limitation des armemens sans chimère et sans danger, pratique et sage.

Les libertés s’enchaînent. Affranchir le trafic ennemi de la capture, c’est aussi délivrer le trafic neutre de cette capture indirecte, hypocrite et mal déguisée, qui, sous le nom de contrebande, fait partager aux neutres les maux du belligérant, sans autre raison logique que d’interdire le rattachement, par les tiers, des mille liens coupés du trafic national. Si l’ennemi pacifique a le droit de vivre de son travail, à plus forte raison, le neutre a-t-il le droit de vivre du sien. Jefferson le disait en 1793,

  1. Lessons of the War, Boston, 1899, p. 84. Sea power in its relations to the war of 1812, London, 1905, t. I, p. 144-145.