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lenteur de la victoire qui déjà menace d’abattre la Grande-Bretagne.

Devant un tel péril, l’opinion s’émeut ; une ligue se forme ; de 1903 à 1905, une commission extra-parlementaire entend, en cinquante séances, quatre-vingt-treize témoins : industriels, agriculteurs, marchands, armateurs, juristes et marins. De cette enquête, dont le point de départ est que l’Angleterre a par hypothèse, des forces suffisantes pour prendre, après combat, la maîtrise de la mer, les conclusions sont multiples et les solutions dispersées. Les uns demandent, comme jadis à Venise, la formation de greniers nationaux ; d’autres, l’assurance par l’Etat du risque de prise ; d’autres, une loi sur l’assistance en temps de guerre ; mais tous ces systèmes ont leurs inconvéniens et leurs lacunes, et, pour multiplier les remèdes, la Grande-Bretagne laisse fléchir la vieille dureté de son droit[1].

Au temps d’Elisabeth, elle défendait aux neutres de porter des vivres à ses ennemis. Et, comme le nouvel ambassadeur de Pologne, à peine arrivé, protestait : « Je reçois une ambassade et non pas un défi, » lui répondait la Reine, très fière de lui parler latin. Aux temps napoléoniens, le grand juge des prises, lord Stowell, admettait encore la saisie des vivres dans trois cas : s’ils étaient le produit naturel d’un autre État que celui du pavillon ; s’ils étaient manufacturés, — grain devenu farine, bétail devenu conserve ; — s’ils étaient à destination d’une flotte ou d’un port d’équipement militaire ou maritime. De ces trois cas, à la fin du XIXe siècle, il n’en reste plus qu’un, le troisième, dans le Manuel des Prises rédigé pour l’amirauté britannique par le professeur Rolland.

Mais, ceci même, au commencement du XXe siècle, paraît trop étendu.

Deux jurisconsultes sont appelés à l’enquête : Holland et Westlake. Après avoir donné son rapport sur les questions de droit connexes au ravitaillement de l’Angleterre, le professeur Holland est interrogé par la Commission : la notion de port de guerre est étroite et claire ; la notion de port d’équipement est large et douteuse ; un belligérant, également désireux, et d’observer le droit international, et d’affamer l’Angleterre, ne pourrait-il découvrir à beaucoup de ports ce caractère pour arrêter le transport des vivres ou des produits bruts à

  1. Report of the royal commission on supply of food and raw material in time of war, with minutes of evidence and appendices, 3 vol., 1903.