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de Le Hagre, incluse en deux articles : désir belliqueux, pessimisme altier. Ces vers étaient les suivans :


Le pur enthousiasme est craint des faibles âmes
Qui ne sauraient porter son ardeur et son poids.
Pourquoi le fuir ? — La vie est double dans les flammes.
Gémir, pleurer, prier, est également lâche.


III

La bibliothèque d’Olivier comprenait trois compartimens, qu’il avait baptisés de trois noms empruntés au vocabulaire chrétien : l’Enfer, le Purgatoire et le Ciel. Dans l’Enfer, qui occupait tout le bas de la bibliothèque et se composait d’armoires profondes, il jetait pêle-mêle tous les livres qu’il destinait au feu, les trouvant mous ou insignifians. Le Purgatoire s’étageait au-dessus, installé sur trois rayons qui couraient d’un bout à l’autre de la pièce, — une chambre carrée, spacieuse, qui servait à Le Hagre de fumoir et de cabinet de travail. — Là se tenaient d’abord, en une posture jugée suppliante, les livres mis à l’épreuve, soit que leur caractère fût incertain, soit que leur intention, non douteuse, parût à Le Hagre téméraire ; d’autres étaient relégués là simplement parce qu’ils étaient sans prétention, témoignant d’une médiocrité savante insoucieuse de conclure : c’étaient des livres d’histoire ou de critique littéraire, des in-octavo où l’exégèse s’épuisait en prouesses vaines, où, lourdement, sans la moindre ambition de plaire ou de divertir, l’économie politique se prélassait. Le Ciel enfin couronnait l’édifice ; il tenait tout entier, à raison du petit nombre des élus, en un unique rayon, partagé lui-même en trois casiers ; seul le casier central était garni de livres. Ils étaient au nombre de trente environ, et reposaient sur un tapis de peluche grise.

De ces bouquins familiers, Le Hagre prenait un soin extrême, estimant qu’à les avoir longuement maniés, associés à ses desseins, interrogés aux heures de doute, un peu de son âme eût sombré avec eux s’il leur fût arrivé malheur. Ils se rattachaient tous par quelque côté à l’un ou l’autre des deux pôles de sa pensée, ou aux deux à la fois. Chateaubriand et Vigny tenaient la tête du cortège, étant l’un et l’autre passionnés et amers, lourds de désir et de désespoir. Mais à Chateaubriand il