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aux entrailles, le secouaient d’une commotion où tout son être participait. Il fallait, pour cela, qu’ils fussent vécus et témoignassent d’une vie intense, non d’une simple déférence à l’égard de tels procédés ou partis pris d’école ; et c’était toujours l’ineffable son des musiques intérieures, la note intime ou l’argument non discursif que Le Hagre leur demandait. Il exigeait d’eux qu’ils fissent vibrer ce je ne sais quoi de profond qui est tout le mystère de la vie ; et quant à ceux qui reproduisaient gauchement, sans pudeur, l’expérience des autres, il les écartait sans pitié et ne se privait point, à l’occasion, de les flétrir.

Et c’est qu’au fond il n’estimait que l’action, et le livre qu’en regard du devoir d’agir. Ce devoir s’imposait à lui comme une loi de sa propre constitution, et ne s’autorisait d’aucune considération métaphysique. Etait-ce bien réellement un devoir ? Il ne s’était jamais posé cette question ; mais il ne se rappelait jamais sans un frémissement de tout lui-même ce mot de Pascal : « La vie tumultueuse est agréable aux grands esprits, mais ceux qui sont médiocres n’y ont aucun plaisir. Qu’une vie est heureuse quand elle commence par l’amour et qu’elle finit par l’ambition ! Si j’avais à en choisir une, je prendrais celle-là. »


IV

La tragi-comédie politique exerçait sur Le Hagre une manière de fascination ; il en suivait d’assez près les péripéties, en s’efforçant surtout d’y démêler, ou d’en déduire, le statut probable de l’avenir. Il avait, par une sorte de convention tacite avec lui-même, voué son âge mûr à la vie publique ; il regrettait même, à de certains momens, de s’être provisoirement interdit d’y aspirer ; son rêve d’amour, qui s’affirmait toujours plus vain à chaque nouvelle expérience, cédait le pas momentanément à d’autres espoirs, moins illusoires, semblait-il ; dans son cœur déçu, fermentait alors, s’enflait démesurément, se développait d’étrange façon la nostalgie du forum ; et ce n’est que par un coup de barre viril, par un brusque effort de sa volonté, qu’il ramenait sa pensée et son cœur vers le but assigné à sa jeunesse : l’amour.

Et voici qu’il se reprenait encore, et malgré tout, à passionnément désirer la coupe d’ivresse, et que s’élevait en lui, toujours aussi fervent, l’hymne au bonheur entrevu, jamais atteint.