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était interdite, par la raison même que son amour le vouait désormais à l’action.

Mais quelle action, et combien étrange, à la considérer de l’extérieur ! Lui, l’habile manœuvrier, rompu à tous les artifices, aux détours, aux expédiens, aux ruses de la chasse aux belles, il s’était laissé prendre comme un enfant aux lacs d’une petite fille ! Il courait, d’une folle allure, à un mariage bourgeois ! De vrai, bourgeois ou non, ce mariage était le terme où tendait, de toutes façons, ce perpétuel ondoiement, ce geste presque automatique qui faisait chercher à Le Hagre, pour s’y réfugier et blottir, le sein chaleureux de la femme. Cette solitude du cœur, dont le Paris qui s’amuse fait une loi à ses sectateurs, avait toujours pesé à Olivier, et plus qu’un autre il subissait cette autre loi, plus générale, et cet enchantement divin qui couche le mâle et le fort aux pieds de la faiblesse douce. Après comme avant ses fugues mondaines, et sous les jongleries d’idées dont il amusait son ennui, le « simple » qu’il était au fond s’ouvrait des chemins de traverse et gagnait d’une traite, en pensée, la grande route de l’humanité. Mais ressaisi par l’habitude, il se réengageait sur la voie oblique, où les mécomptes l’attendaient. Sans se douter de son erreur, ni s’accuser d’inconséquence, il concluait alors, comme le Samson de Vigny :


Donc, ce que j’ai voulu, Seigneur, n’existe pas !
Celle à qui va l’amour et de qui vient la vie,
Celle-là, par orgueil, s’est fait notre ennemie.


Esclave et victime, par métier, de l’immortelle Dalila, il voyait en elle le type et la fidèle image de la femme ; elle barrait son horizon en interposant, entre le vaste monde et lui, son charme de fleur vénéneuse. Il avait fini, de la sorte, par se prendre à son propre piège, et par s’enfermer de lui-même, ainsi qu’en un cercle fatal, dans sa restreinte expérience. De vagues échappées sur l’au-delà, des hypothèses d’un caractère abstrait, un pressentiment douloureux de quelque chose qui n’est pas, mais qui pourrait être : à cela se réduisait sa connaissance de l’autre femme, de la compagne véritable. Le mot de Julie : « Je ne sais qu’aimer, » ou telles autres paroles semblables cueillies dans les livres, le surprenaient toujours et l’émouvaient profondément ; mais comme il ne les rattachait à rien de concret, elles flottaient dans sa mémoire, inconsistantes comme des