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(ce serait beaucoup moins en Italie, un peu plus en Angleterre). Supposez que chaque ouvrier garde entière cette valeur ; le patron qui, lui aussi, a travaillé, le marchand qui a transporté sur le lieu de travail les matières premières ou les matières déjà transformées, tous les intermédiaires qui ont aidé l’ouvrier dans sa tâche, l’Etat, qui a le droit de prélever des contributions nécessaires aux dépenses publiques, seront frustrés de leur part légitime ; et malgré cela, vous ne pourrez dépasser un maximum de 2 750 francs pour l’ouvrier, comme revenu intégral et produit intégral de plus que son travail.


III

L’organisation du travail, disent les socialistes, étant aujourd’hui aux mains des propriétaires, ceux-ci la dirigent de manière à assurer pour eux le maximum de jouissance, tandis que les invalides, les infirmes, souvent les travailleurs eux-mêmes vivent dans la privation de ce qu’exigent les besoins les plus urgens. De là le droit à l’existence et au bien-être, revendiqué par les socialistes.

Au point de vue moral, ce droit est incontestable et on ne saurait trop faire pour soulager les misères du peuple. Mais qui ne voit ce qu’il y a encore de vague dans la formule socialiste ? Le mot d’existence est général et indéterminé. Il peut désigner d’abord l’existence simple et nue, le fait de pouvoir vivre. Le droit à l’existence n’est alors que le droit à la subsistance, à ce qui est nécessaire pour vivre. Mais la vie même ne peut être considérée comme une chose toute nue ; il faut en venir à un certain standard of life, à un certain genre de vie constituant non plus seulement l’être simple, mais un bien-être. Par malheur, l’idée de bien-être est elle-même très indéterminée. Elle peut désigner un bien-être simplement physique, ou encore un bien-être intellectuel et moral. On peut même dire que le droit au bien-être enveloppe aussi un droit au « mieux-être. » La mesure du bien et du mieux sera-t-elle l’agréable ? L’existence agréable pour les uns ne l’est pas pour les autres. Le droit à la jouissance et aux diverses jouissances nous entraîne dans un champ illimité. De plus, il y a des jouissances intellectuelles. L’idée d’existence va ainsi se transformant sans cesse et se qualifiant de plus en plus, sans qu’on puisse définir quelle qualité