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impuissante à le résoudre que l’est le Tsar, et l’effet du régime risquerait fort de ressembler à la manière dont fut conduite la guerre de Mandchourie. Avec cette différence qu’il s’agirait ici, non pas de conquérir un territoire nouveau, mais de pourvoir à la subsistance universelle, au bien-être universel, au progrès universel. Pour résoudre ce problème intégral de la subsistance intégrale et de la jouissance intégrale, l’administration aurait sans doute la ressource de consulter les chiffres. Par malheur, les chiffres ne pourraient jamais porter que sur les consommations antérieures, non sur la qualité et l’intensité des besoins actuels ou futurs. Le passé serait donc la règle et la limite du présent : défense de chercher plus ou mieux. Le nouveau ne peut pas se calculer. Il surgit tout d’un coup et se révèle par l’offre et la demande. Je vous offre du nouveau ; et si ce nouveau n’est pas stérile, à vous de dire si cela vous plaît, à vous de demander ce que je vous offre. En dehors de ce critérium, aussi vieux que l’humanité et qui semble impérissable comme elle, comment l’administration collectiviste, dans ses bureaux remplis de cartons, pourra-t-elle deviner les besoins des citoyens ? Ces besoins s’ignorent souvent eux-mêmes jusqu’au moment où un inventeur bien avisé les révèle à eux-mêmes, ou plutôt les produit et les suscite, en leur offrant une chose à laquelle personne, jusqu’à présent, n’avait songé, pas plus sur les doctes fauteuils de la bureaucratie collectiviste que sur les doctes fauteuils de la direction des Beaux-Arts ou même de quelque académie des Beaux-Arts.

Le système communiste est le plus grand destructeur de toute liberté. On peut dire, en effet, que la liberté de la consommation est la plus fondamentale de toutes, puisqu’elle est celle de suivre ses goûts et ses désirs, celle de vouloir conformément à ses motifs et à ses mobiles personnels. Quand nous désirons nous procurer une jouissance quelconque, accomplir un dessein quelconque, nous sommes obligés de consommer ; si notre manière de consommer n’est pas libre, toutes les autres libertés disparaissent. Si, par exemple, je veux publier ce que je pense et ce que je crois utile à tous comme à moi, il faut que je consomme du papier, des plumes et de l’encre, que je fasse appel à une imprimerie pour qu’elle consomme à son tour du papier, de l’encre et des caractères d’imprimerie, à un brocheur pour qu’il consomme du fil et tout ce qui est nécessaire au