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les résultats de ce fonctionnement, il est aussi dangereux de vouloir les transformer du jour au lendemain, que de vouloir modifier ex abrupto la structure et les fonctions d’un organisme vivant. Prétendre tout reconstruire sur un autre plan, c’est méconnaître le déterminisme de l’évolution naturelle, sur lequel le déterminisme de l’évolution « idéologique » n’a qu’un pouvoir de réaction limité et graduel, non absolu et soudain. Nous savons comment s’établit aujourd’hui l’équilibre. Nous sommes dans la réalité. Les systèmes, eux nous tracent un idéal ; mais il s’agit toujours de savoir si cet idéal est le plus désirable, puis s’il est réalisable. Pour être certain que la remise à l’administration du soin d’assurer l’équilibre des forces économiques est le véritable idéal désirable, il faudrait connaître tous les effets de cette remise, toutes les répercussions, tous les contre-coups, toutes les actions et réactions connexes, soit de l’ordre mécanique, soit de l’ordre biologique, soit de l’ordre psychologique, intellectuel ou moral. Peut-être, si nous connaissions tout, ce qui paraîtrait d’abord désirable nous paraîtrait-il insupportable et ce qui nous semblait un idéal nous semblerait-il un mauvais rêve. Les partisans de cet idéal, en tout cas, ne peuvent nous fournir qu’un schème bien incomplet de la société qu’ils croient la meilleure. Nous sommes nous-mêmes réduits, pour apprécier leur idéal aventureux, à une comparaison plus ou moins aventureuse avec la société réelle. Or, à ce point de vue, les inductions optimistes des faiseurs de systèmes sont plus que contrebalancées par les inductions pessimistes que provoquent ces systèmes, quand on s’efforce de s’en représenter d’avance l’application. Rien ne prouve que l’équilibre serait mieux assuré qu’aujourd’hui et surtout que demain et après-demain, si on fait demain des réformes et après-demain de nouvelles réformes. Tout fait croire, au contraire, que l’équilibre imaginé par les collectivistes et confié par eux à l’administration, aurait les vices des choses administratives. Les hommes n’étant pas devenus parfaits, l’administration par les hommes ne serait point parfaite, et comme la tâche serait infiniment plus vaste, plus compliquée et plus difficile que de nos jours, elle risquerait d’être d’autant plus mal accomplie. Peut-être les critiques du collectivisme s’exagèrent-ils certains inconvéniens ; cela est même probable. Mais il n’est pas moins probable, il est même certain que les idéologues du collectivisme s’exagèrent les bienfaits de