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combinaisons matrimoniales que le romanesque abbé semblait fonder l’espoir d’une refonte totale, dont il ne parlait qu’avec mystère, de l’Eglise « repeuplée, » promettant sur ce point, dans un livre prochain, des révélations supplémentaires.

Enfin, comme pour mettre le comble à ses imprudences, l’abbé Colas ajoutait à sa théologie nouvelle de la nature réhabilitée un culte approprié. Ce saint Joseph, sous le patronage duquel il plaçait sa conception d’un christianisme essentiellement conjugal, il le célébrait, le grandissait jusqu’à d’étranges proportions. A une époque où la dévotion de l’époux de Marie n’était encore que peu développée dans l’Eglise[1], Portmorand n’hésitait pas à déclarer que « Dieu le Père, ayant choisi Joseph de toute éternité pour le mettre un jour à sa place et transporter sur lui l’auguste nom de Père de Jésus, » lui a voulu « céder en ce temps-là son sceptre et sa couronne,… lui communiquer la plénitude des sciences et des lumières de son esprit, pour le rendre digne de faire les fonctions d’un Dieu sur un Dieu même et sur une mère de Dieu. » Homme assurément, mais homme « nécessaire à la gloire de l’Éternel, » homme qui, « comme cause seconde, se peut dire avec vérité l’auteur et le conservateur de la vie de tous les hommes, de tous les anges et de Dieu même ; homme enfin qui est plus qu’un homme, plus qu’un ange et comme un Dieu, par la démission volontaire et entière que le Père éternel lui a faite de tous ses droits sur son Fils. » Et Portmorand affirmait que l’intercession de saint Joseph était, de toutes, avec celle de Marie, la plus efficace : tout pouvait s’obtenir selon lui, en s’adressant à « ce Roi du Roi des Rois, à ce Seigneur de l’Empérière de l’Univers, » à cet « arbitre et dispensateur du salut des hommes dedans le Ciel comme il le fut sur la terre, » à ce « grand Chancelier, sur lequel Dieu se repose Je toutes les affaires de ce monde. »

Tout cela, c’était commettre, surabondamment, le péché capital aux yeux des théologiens du XVIIe siècle. C’était « dogmatiser, » c’est-à-dire débiter d’un ton d’autorité et comme incontestables des « sentimens particuliers » engendrés par le « sens propre. » Or ces sentimens particuliers de l’abbé de Portmorand « subodoraient » assurément beaucoup de choses mauvaises : le libertinage réformateur, l’épicuréisme païen, le protestantisme même.

  1. La Tête de saint Joseph n’a été instituée par le Saint-Siège qu’en 1621.