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pensées pour y trouver de la consolation ; mais après tout il y a une seule sur laquelle on peut se reposer, c’est ce que tout qu’ordonne l’Être suprême, est pour notre bien ; la belle âme qu’il vient de congédier ne meurt pas ; peut-être animera-t-elle quelque charment fleure de printemps, ou quelqu’objet dans la belle nature qui attirera vos regards et votre admiration.

Je vous prie de faire agréer à Mme de la Martine l’expression de la plus vive, de la plus tendre simpathie. Ce n’est pas une qui n’a pas senti le malheur qui tâche lui porter quelque consolation. On ne peut pas être heureux dans ce monde que par comparaison ! Vous lui est préservé ! Qu’elle pense un moment à ces malheureux sortis du siège d’Acre. Quelques-uns qui ont perdu tout ceux qu’ils leur étaient cher et qui errent dans le monde sans parens, sans amis, et sans pain ; mon cœur est journellement navré par le sort de ces malheureux.

Hester Lucy Stanhope[1].


C’est ici une date importante dans la biographie psychologique de Lamartine. Son « stoïcisme » n’est pas de la résignation. Avec la violence de tempérament qu’on lui connaît, Lamartine n’acceptait pas la douleur : elle le révoltait par son injustice. Survenant si tôt après la mort de sa mère, la mort de son dernier enfant, qui désormais le laisse sans espoir de famille, acheva de dessécher son âme. J’ai toujours cru que le voyage en Orient avait eu sur sa pensée une influence considérable. M. Christian Maréchal a très judicieusement souligné dans la rédaction primitive du Voyage des traits de christianisme qui, dans l’édition, ont été remplacés par un pathos philosophique. Les lettres écrites d’Orient apportent un argument de plus en ce sens. Lamartine y parle encore un langage qui désormais ne sera plus le sien. Il était parti chrétien, il reviendra rationaliste. L’une des causes de ce grand changement est sans doute le spectacle de mœurs si différentes et de tant de religions mortes : son christianisme déjà fort entamé n’a pas résisté à ce voisinage. Mais l’occasion décisive a été le désespoir du père au lit d’agonie de sa fille. C’est la secousse des sanglots qui a fait crouler l’édifice, déjà miné chez lui, des vieilles croyances.


RENE DOUMIC.

  1. Cette lettre, entièrement de la main de lady Stanhope, fait, comme la précédente, partie des papiers de Saint-Point.