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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 46.djvu/942

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saint Bonaventure, jamais encore aucun biographe de saint François n’a entrepris sa tâche dans des conditions plus favorables, ni avec plus de chances de la mener à bien.


Car il se trouve, d’abord, que M. Jœrgensen est, par-dessus tout, un poète. J’ai eu déjà l’occasion d’étudier ici les origines et l’évolution de son talent, fait principalement de grâce limpide et d’intime tendresse, avec une flamme d’émotion pieuse qui, allumée jadis au contact de nos poètes catholiques français, n’a plus cessé, depuis lors, de rayonner dans tous ses écrits en vers et en prose, — obligeant les moins religieux des critiques Scandinaves à placer l’auteur d’Éva au premier rang des artistes littéraires de son pays[1]. Encore le talent et la renommée de M. Jœrgensen ont-ils grandi considérablement lorsque, il y a trois ou quatre ans, le poète danois a fait paraître, sous le titre de Pèlerinages franciscains, le récit de ses visites à tous les lieux italiens où subsistaient des traces ou des souvenirs du passage de saint François, depuis la grotte de Greccio, où s’est renouvelé, en faveur de l’humble frère, le miracle glorieux de la Nativité, jusqu’à ces rochers boisés de l’Alverne où le plus « chrétien » des enfans du Christ a été admis à ressentir, dans sa chair et son sang, les souffrances sacrées de la Crucifixion. Ce petit livre est, d’ailleurs, le chef-d’œuvre du nouveau biographe de saint François d’Assise : nulle part ne se montre mieux à nous son art, non moins habile que charmant, de poète-conteur. Avec une aisance et un naturel parfaits, l’auteur nous promène par les rues et les sentiers, nous introduit dans des réfectoires de moines ou des chambres de paysans ombriens, entremêlant à la narration familière de ses aventures de voyage une foule d’observations, de réflexions, voire de légères chansons et de savans débats historiques : tout cela fondu dans un même courant de transparente et fraîche poésie, où toujours se reflète l’exquise lumière qui jaillit du cœur embrasé du Poverello. Et nous pouvons comprendre déjà, à lire cette sorte de préface de la biographie que préparait le « pèlerin » Scandinave, avec quelle netteté celui-ci s’est rendu compte de l’obligation où il était de faire appel, surtout, à son âme de poète, s’il voulait réussir à ressusciter une figure que M. Sabatier, avant lui, n’avait étudiée qu’en érudit, en psychologue, en moraliste, — toujours en prosateur.

Mais M. Jœrgensen avait encore, sur son éminent prédécesseur,

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1904.