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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/157

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publique, archéologue distingué, qui a enrichi le Musée impérial de nombreuses et précieuses collections dues à ses propres découvertes, était chassé d’un banquet officiel à coups de pied, bâtonné, assommé et jeté tout sanglant dans la rue... Toute la nuit, sur les quais, des groupes consternés commentaient ce triste événement. » Le pauvre Naily-bey n’avait pas l’expérience des révolutions ! Le Sultan a été plus avisé. Sa mésaventure n’a pas, en elle-même, d’autre importance ; mais elle prouve une fois de plus qu’en temps de bouleversement les pires choses peuvent arriver à l’encontre des intentions les plus pures et des desseins les plus généreux, et, pour ainsi dire, sans que personne en soit responsable. C’est l’aveugle destin des révolutions ! Ce sont des incidens de cette nature que les amis des Jeunes Turcs peuvent redouter ; ils seraient d’autant plus déplorables qu’ils se produiraient en présence de l’Europe spectatrice.


VI

L’Europe ? On s’est demandé si, dans la crise actuelle, elle était simplement spectatrice, ou si quelqu’une des puissances n’aurait pas eu, dans l’éclosion du mouvement révolutionnaire, un rôle plus actif. Is fecit cui prodest : mais à qui profitera la Révolution turque ? A personne peut-être, sinon aux Turcs. Il existe, on le sait, en Angleterre, surtout parmi les libéraux, comme d’ailleurs en France, une tradition de sympathies très vives pour les partis réformateurs ottomans ; ces sympathies proviennent de vieilles affinités libérales, mais aussi du sentiment de l’intérêt anglais qui voulait une Turquie forte pour l’opposer à la descente des Russes vers la mer Egée. Depuis quelques années, nous avons eu l’occasion de le dire ici à plusieurs reprises, la politique anglaise, inquiète des grands progrès de l’influence de l’Allemagne dans l’Empire ottoman et de sa poussée vers l’Euphrate, semblait avoir renoncé à fortifier et à défendre une Turquie qui paraissait inféodée au germanisme. On s’est demandé, malgré cela, si l’Angleterre, par ses agens ou par ses nationaux, n’aurait pas favorisé l’éclosion d’un mouvement libéral pour renverser ou amoindrir l’autorité d’un Sultan ami de l’Allemagne. L’hypothèse inverse a été faite aussi, non sans certaines vraisemblances : on a cru voir, dans les événemens actuels, un mouvement concerté entre le Sultan, l’Allemagne