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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/192

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l’art, et l’on tire gloire d’une ignorance que l’on considère comme la plus précieuse garantie de sincérité.

Et il en va de même du dessin, du modelé, de l’effet, de la couleur, en un mot de toutes les qualités qui ont fait le mérite des maîtres. A grand tapage de réclames, les impuissances sont proclamées des forces, et il n’est pas d’infirmités qui ne puissent devenir des titres de gloire. La bonne exécution est une tare : sans en comprendre la valeur, on la confond dans une pareille réprobation avec la calligraphie de ces finisseurs à outrance dont la vaine habileté n’a rien à voir avec l’art. Comme si, par la souplesse et la diversité qu’elle doit se proposer d’atteindre, l’exécution ne répondait pas à la prodigieuse variété de la nature, et ne constituait pas, quand elle est subordonnée à l’expression, un des moyens d’action les plus puissans de la peinture. C’est par elle que les moindres objets décrits par un La Fontaine, figurés par un Brouwer ou un Chardin, deviennent intéressans et attestent la distinction que ces maîtres ont apportée dans les sujets les plus humbles. Sous ce rapport, les Hollandais sont admirables. S’il n’est pas possible de pousser plus loin qu’ils n’ont fait le fini d’un tableau, personne n’oserait dire que chez un Ter Borch, par exemple, ce fini soit excessif, qu’il n’ajoute pas un charme singulier à des productions qui, sans lui, paraîtraient insignifiantes.

L’éducation de l’artiste, on le voit, doit porter sur toutes les parties de son art. En présence des difficultés si complexes qu’offre la pratique de cet art, c’est donc un devoir pour celui qui s’y adonne de défendre sa vie et de la bien conduire. Autrefois, sur ce point, la tâche était plus facile. Les existences étaient plus simples, plus dégagées de besoins et de devoirs également factices. Moins nombreux, les artistes étaient aussi moins en vue. Dans la demi-obscurité, quelquefois même dans l’anonymat où ils restaient volontiers confondus, le travail était alors leur seule préoccupation. Traitant d’abord exclusivement des sujets religieux, ils s’appliquaient surtout à manifester leur foi dans leurs œuvres. C’est par la prière que Fra Angelico préludait à son travail, et il y mettait toute son âme. Les productions de tels artistes étaient un objet d’édification pour ceux qui les possédaient.

Par la suite, obéissant déjà à des mobiles moins élevés, ils aimaient cependant assez leur art pour se consacrer à lui tout entiers. Leur apprentissage était long, mais patrons et élèves