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déchu. Il a obtenu alors la protection de l’Angleterre, ce qui lui a permis de vivre à Tanger sans être inquiété. Notons, en passant, cette tendance des hommes politiques musulmans à se mettre sous la sauvegarde britannique, lorsqu’ils se sentent menacés par une lubie de leur maître : ce n’est pas seulement à Tanger que le fait s’est produit, c’est aussi à Constantinople u à Beyrouth. Depuis qu’il s’est converti au libéralisme, le sultan Abd-ul-Hamid a déjà eu deux grands vizirs : le premier, Saïd pacha, s’était réfugié un jour à l’ambassade, et le second, Kiamil pacha, au consulat d’Angleterre, parce qu’ils redoutaient les suites en effet redoutables de son mécontentement. L’Angleterre s’assure ainsi des reconnaissances qui peuvent être utiles dans l’avenir. El Mnebhi ne lui avait pas demandé un asile provisoire, mais sa protection effective dans toute l’acception qu’a ce mot en pays musulman. Son premier soin, après la chute d’Abd-el-Aziz, a été de dire à Si Mohammet Guebbas que Moulaï Hafid le maintenait dans ses fonctions de ministre. Aussitôt El Mnebhi et Guebbas se sont trouvés les meilleurs amis du monde, et on les a vus l’un et l’autre, spectacle étrange à coup sûr ! se rendre à la légation de France, pour causer avec notre ministre de l’opportunité qu’il y avait à proclamer tout de suite le nouveau Sultan. M. Regnault a fait la seule réponse qu’il pouvait faire, à savoir qu’il s’agissait là d’une affaire purement marocaine, dans laquelle il n’avait pas d’opinion à exprimer ; mais on a pris son silence du bon côté, et la proclamation a eu lieu incontinent au milieu de l’enthousiasme général. Le ministre d’Espagne, M. Padilla, se trouvait à la légation de France, au moment où El Mnebhi et Si Mohammet Guebbas s’y sont présentés : il les a dispensés de faire auprès de lui, comme c’était leur intention, une démarche analogue à celle qu’ils venaient de faire auprès de M. Regnault, et s’est associé de tous points à la réponse que leur avait faite son collègue français. MM. Regnault et Padilla se sont contentés de prendre acte de l’assurance qui leur était donnée que l’ordre serait maintenu et que la sécurité des colonies étrangères ne serait pas menacée : il en a été ainsi jusqu’à présent. La démarche de Mnebhi sent-elle le fanatisme ? Non, évidemment ; l’impression qu’on en éprouve est même toute différente. Toutefois, après avoir fait ces constatations, il serait imprudent de conclure trop vite. Nous ne sommes qu’au début de la révolution marocaine : qui pourrait dire avec certitude comment elle évoluera ?

La première question qui se pose est, à supposer que Moulaï Hafid ait les intentions qu’on lui prête, de savoir s’il lui sera possible