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DANS LA MÊLÉE. — LE DÉPUTÉ CHEZ SES ÉLECTEURS

Rester indépendant vis-vis de chaque parti, c’est le sûr moyen de grouper tous les partis contre soi. Lamartine en fil aussitôt l’épreuve. Certes il exagère quand il parle de « déchaînement universel. » Si les légitimistes qui, depuis 1820, avaient adopté sa gloire, le considèrent comme un transfuge et le traitent en conséquence, en général on affecte à son égard plus de dédain que de courroux. Mais ce genre de polémique lui était alors nouveau. Quand on passe des sphères calmes de la littérature ou de la diplomatie à celles de la politique, on est tout d’abord déconcerté par le changement des mœurs ; on croit que le privilège vous a été réservé de haines inouïes et d’injures inédites : on s’habitue ensuite à ce tapage, comme on finit par ne plus entendre la roue bruyante d’un moulin que le vent fait tourner. Dans le soin que met Lamartine à noter les injures dont il se croit l’objet, il y a un peu du novice étonné et scandalisé.

Toutefois, c’est ici un des traits qui le peignent. Il a toujours supporté la critique avec une sérénité robuste dont bien peu ont donné l’exemple. Poète, il n’a ni la susceptibilité d’un Racine, de qui son fils a écrit : « La plus mauvaise critique lui avait toujours causé plus de chagrin que les plus grands applaudissemens ne lui avaient fait de plaisir. » Lamartine était exactement à l’opposé ; il jouissait des complimens à un degré extraordinaire, surtout chez un homme qui en avait tant reçu ; il s’enchantait des applaudissemens, au point d’en être dupe. Et il ignorait aussi bien les longs ressentimens d’un Victor Hugo, se vengeant, à quarante ans de distance, d’un article pourtant élogieux, par cette grossièreté : « Un âne, qui ressemble à M. Nisard, brait. » Politique, il a pu se rendre ce témoignage qu’il n’a jamais cédé ni à une animosité contre les individus, ni à une rancune. Attaqué par la Némésis, lors de sa première candidature, il avait terminé sa véhémente riposte par la promesse d’un généreux oubli :


Mais moi, j’aurai vidé la coupe d’amertume,
Sans que ma lèvre même en garde un souvenir ;
Car mon âme est un feu qui brûle et qui parfume
Ce qu’on jette pour la ternir.